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Alimentation / Suite de notre chronique de l’été, avec cette autre idée reçue : « On mangeait mieux avant ». Pour clôturer ce thème, une argumentation à avancer pour faire comprendre à nos dirigeants et à nos concitoyens qu’on ne peut pas indéfiniment payer moins pour se nourrir. 

Faux
Les impressions sont trompeuses. Quand on demande à un Français si son alimentation lui coûte plus cher qu’auparavant, il répondra volontiers par l’affirmative. En fait, la part du budget consacré à l’alimentation en France est passée au cours des 50 dernières années de 25 % à 13 % (derrière les postes logement/chauffage – 25 % – et transport – 15 %). Ce phénomène s’accompagne d’une diminution des écarts entre ménages les plus modestes et les plus aisés. Pourtant, plusieurs raisons tendent à prouver que ce phénomène ne peut durablement perdurer.

L’exigence des consommateurs toujours plus grande
La première raison qui tend à démonter le mythe du « manger moins cher » est liée à la loi de l’offre et de la demande. Contrairement aux autres secteurs de l’industrie ou des services, il est très improbable que l’on connaisse un bond technologique important dans la production agricole qui lui permette de produire tellement que la consommation ne suivra plus. Certes les gains de rendement à l’échelle mondiale et les gains de productivité dans certaines filières vont accompagner l’augmentation de la population mondiale, mais sans plus. Parallèlement à ce constat sur la finitude de l’offre, on observe qu’en l’absence de pénurie alimentaire, les exigences des consommateurs sont de plus en plus importantes. Sains, beaux, nutritifs, bons, standardisés… les produits alimentaires doivent être irréprochables. Ce progrès a un coût que ni les agriculteurs ni la transformation ne pourra indéfiniment absorber.

Grande distribution et politiques : la collusion
C’est pourtant le rêve du politique : offrir plus de pouvoir d’achat au citoyen en rognant là où c’est le plus facile. En cela, l’avènement des grandes surfaces en France a été encouragée par tous les Gouvernements, malgré les dommages collatéraux sociaux provoqués (emplois et commerces locaux). Au moment de son apparition dans les années 1950, la grande distribution connaît par exemple d’importantes difficultés. Certains fournisseurs, sous la pression des petits commerçants, refusent de livrer ces nouveaux magasins qui pratiquent des prix faibles. En réponse, l’État interdit le refus de vente en 1953, puis le précise en 1958 et 1960. Il faut attendre 1996 et la loi Royer pour attendre les premières interventions visant à contraindre l’ouverture des grandes surfaces.
Bref, l’État est largement responsable de la situation d’oligopole actuelle de la grande distribution (6 groupes pour 85 % de parts de marché). Mais les différentes missions menées par l’Observatoire des Prix et des Marges tendent résolument à prouver la limite du système : entre 2005 et 2013 l’indice des prix à la consommation des produits alimentaires a augmenté de 15 %, tandis que celui des prix des produits agricoles à la production augmentait de 47 %. Dans le même temps, la rentabilité des grands distributeurs grimpait. La grande distribution a donc pesé fortement sur les marges des entreprises agro-alimentaires.

Les intérêts nationaux en jeu
Mais cette guerre des prix ne pourra pas éternellement se poursuivre. Les entreprises sont à bout, les producteurs aussi, l’actualité nous le montre. Au moins 3 types d’intérêts supérieurs pourraient renverser la tendance. D’abord le besoin de souveraineté alimentaire : à faire mourir la production, à se livrer au jeu du libéralisme à l’extrême et à externaliser notre production alimentaire, on se rend vulnérable. Passons. En second lieu, on parle de plus en plus des préoccupations de santé publique : une étude de l’Inserm en 2012 a montré que notre grande distribution, avec ses premiers prix, provoque un appauvrissement des recettes avec des ajouts de sucre ou de graisse et le développement de nouvelles maladies alimentaires. Comme si la sécu pouvait se le permettre. Dernier argument et non des moindres : la pression sur les prix se fait au détriment des plus petites entreprises et des entreprises françaises. Elles « payent le prix de la guerre des prix ». Qui peut se passer de Nutella ou de Coca-Cola ? Les groupes à qui ces marques appartiennent imposent leurs prix, et la grande distribution équilibre en répercutant sur ses fournisseurs moins organisés et davantage dépendants des centrales d’achat. Si le Gouvernement veut enrayer la spirale des destructions d’emploi dans la filière (7 000 en 2013), il devra arrêter ses concessions à la grande distribution et dire au consommateur/citoyen/électeur la vérité : l’équation manger mieux et moins cher n’a pas de solution.

LD

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