Actualité / La FDSEA et la FDPL tenaient leur assemblée générale le 22 février à Vesoul. Avec Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, les discussions ont beaucoup tourné autour des problèmes rencontrés par les agriculteurs, notamment sur les dossiers liés à la communication et l’image de l’agriculture.
Comme dans d’autres branches professionnelles, la profession agricole a du mal à valoriser ses succès. Parce que seuls les trains en retard intéressent les médias, parce que la sécurité alimentaire est considérée comme un acquis, parce que la réalité du métier d’agriculteur est souvent mal comprise, nos concitoyens attendent toujours plus de leurs agriculteurs.
Améliorer ? La loi des rendements décroissants
« Pourtant, nous changeons, nous savons nous adapter ! rappelle Patrick Bénézit, invité à s’exprimer à l’assemblée générale des FDPL et FDSEA le 22 février. Regardez le plan écoantibio : objectif 25 % de réduction, nous sommes arrivés à 35 %, sans loi contraignante ! » Certes, on peut toujours mieux faire, c’est évident. Mais la surenchère perpétuelle en matière de sécurité sanitaire et de qualité environnementale a quelque chose de décourageant pour les agriculteurs. Non pas qu’ils en contestent l’utilité, mais ils ont visiblement le sentiment d’un effort accompli sans aucune reconnaissance du consommateur. « Notre produit standard est déjà du haut de gamme, rappelle justement Patrick Bénézit, par rapport à ce qui se fait ailleurs, ou par rapport à ce qui se fait autrefois. » Une chance dont bénéficient les consommateurs, et qu’ils tiennent à présent pour acquis. Le premier défi historique qui a été confié aux agriculteurs après-guerre a été celui de la quantité ; défi si bien relevé que personne aujourd’hui ne se souvient de privations ou de manques, qui ont été le lot de nombre de nos prédécesseurs pendant les millénaires. Or les exigences du législateur (qui sont celles de l’électeur) vont toujours plus loin : plus de qualité, moins d’intrants, si possible moins cher. La course à l’échalote. « La qualité a un prix, notre métier a un prix », rappelle Emmanuel Aebischer en paraphrasant Christiane Lambert. Surtout quand on arrive à un niveau de qualité tel que tout nouveau progrès entraîne une somme d’effort de plus en plus importante. C’est la loi des rendements décroissants bien connue des cultivateurs : le dernier point de protéine coûte cher…
Mercosur : loin des yeux, loin du contrôleur
D’ailleurs, le sentiment d’injustice le plus cruel est sans doute le fait que le niveau d’exigence que nos concitoyens attendent des produits agricoles français ne s’applique pas aux produits importés. « On ne peut pas en même temps se faire rappeler à l’ordre en dénigrant les efforts déjà effectués, tout en signant des accords commerciaux avec des pays qui ne respectent rien », s’emporte Patrick Bénézit. Dans le viseur de l’agriculteur, le projet d’accord Mercosur, et plus généralement les accords commerciaux où l’agriculture est sacrifiée sur l’autel du libre marché. « Un rapport sur le traité de libre-échange avec le Canada a montré que 46 substances interdites en Europe sont utilisées pour produire certaines denrées importées, parmi lesquelles farines animales, hormones, phytos, etc. » De quoi nourrir le sentiment de frustration. D’autant qu’à l’issue des Etats Généraux de l’Agriculture (EGA), un certain nombre de compromis ont été trouvés sur la répartition de la marge, à condition que la profession se dirige vers « une montée en gamme » généralisée. C’est, paraît-il, la volonté du consommateur. Qui donc demande à importer des produits de mauvaise qualité ? « 100 000 t de viande, sans parler de la volaille, du sucre, de l’éthanol ! Rappelons quand même que Poutine et Trump ont fermé leurs frontières avec le Brésil, pour des questions de sécurité sanitaire, souligne encore Patrick Bénézit. Et nous, on négocie tranquillement ? Pour faire entrer des produits qui, s’ils étaient faits en France, seraient détruits et leur producteur mis en prison. Il faut stopper immédiatement ces accords commerciaux ! » « Cent mille tonnes de viande, rappelle Philippe Auger président d’Elvea, c’est l’équivalent de la production annuelle de SVA (Intermarché), ou encore c’est 3 mois d’abattage de Bigard. » Pas une paille…
Chasse : une année décisive
Un combat qui risque d’occuper encore le syndicalisme majoritaire en 2018. Tous comme celui de la chasse : cette année dans le département, il est en effet prévu que soit réécrit le Schéma Départemental de Gestion Cynégétique. Le précédent arrive en effet à son terme légal de 6 ans le 31 juillet 2018, et la profession agricole espère « un peu moins de mauvaise foi de la part des représentants de la chasse », comme le dit Emmanuel Aebischer. Les discussions sont en tout cas déjà « compliquées pour obtenir un consensus cohérent ». « Nous exigeons qu’un véritable plan de réduction des populations de sangliers soit engagé sur le département avec des outils nouveaux de régulation, ont rappelé les secrétaires généraux dans leur rapport d’activité : 1 bracelet = 1 sanglier, fermeture de la chasse au 28 février, agrainage interdit en période de chasse. » Au niveau national, l’ambiance est aussi compliquée, avec un « plan loup » qui est « un véritable scandale » d’après Thierry Chalmin. Un dossier sur lequel le président de la chambre d’agriculture est « parfois en contradiction avec Christiane Lambert ». « L’objectif des 500 loups, on y va tout droit », déplore-t-il. « On dépense 30 millions par an d’indemnisation des dégâts rappelle un éleveur dans la salle. Ça fait 60 000 euros de dégâts par loup… » un chiffre impressionnant qui sous-estime sans-doute la réalité car à ce jour la population de loups est encore plus proche de 400 que de 500.
Haies : la branche de discorde
Sur ces sujets environnementaux voire sociétaux, la difficile gestion des haies est encore à l’ordre du jour. Nombreux sont les agriculteurs confrontés à l’incompréhension de leurs voisins lors d’entretiens des haies. Des quiproquos qui peuvent aller jusqu’en justice, comme en a témoigné le maire de Jussey Olivier Rietmann, « bientôt au tribunal le 12 mars pour la mise en sécurité d’un chemin ». La situation dans notre département n’a pas manqué d’étonner Patrick Bénézit, qui n’a pas remarqué une telle hystérie dans son Cantal d’origine. Après les deux tempêtes qui ont balayé le département début janvier, un agriculteur a profité de la présence du directeur adjoint de la DDT pour demander, sur le ton de la plaisanterie, s’il fallait prendre en photo tous les arbres cassés avant de les couper. « C’est plus sûr », a répondu sérieusement le représentant de l’État, qui compte tenu de l’ambiance générale et, on l’a compris, des délations qui arrivent à ses services, recommande « la prudence ».
Tout miser sur la communication
Comment donc gérer tous ces problèmes qui relèvent plus d’incompréhension que d’impasses techniques ? En « misant tout sur la communication », suggère le président des JA Gérald Pichot : « L’agriculteur est au centre d’une tornade économique, mais aussi sociale et politique. La communication doit devenir la ligne phare de notre mouvement. » « L’opinion publique pèse de plus en plus, ajoute Emmanuel Aebischer. Nous devons trouver d’autres modes d’expression pour expliquer nos positions. » D’autant que les dossiers instruits par l’ancien procureur de Vesoul ont débouché sur une facture en 2017 de près de 20 k€ pour la FDSEA, pour 25 plaintes déposées suite à des manifestations les années passées. « Les attaques sont nombreuses, mais notre discours doit s’adapter conclut Patrick Bénézit. Par exemple sur le sujet des végans, leurs attaques sont dures à encaisser pour nous autres éleveurs ; mais adressons-nous plutôt aux 98 % de nos concitoyens qui refusent de se rendre malades et qui continuent à manger notre viande de qualité ». D’autant que quand on regarde les chiffres de la consommation de viande par la méthode de bilans (celle des douanes et de Bercy), la situation n’est pas si catastrophique : « On est étal ». Le pire serait en tout cas de laisser l’exclusivité de la communication à ceux qui ont une vision aussi extrémiste des relations à l’animal : c’est pourtant, a confié Thierry Chalmin, ce qui a failli se passer à Héricourt quand le Lycée Aragon « a jugé bon d’inviter des militants de L214 à venir s’exprimer devant les élèves ». Ça n’est certes pas leur premier métier, mais les éleveurs doivent apprendre à parler de leur métier.
LD