Volaille bio / Comment construire une filière en s’assurant que chacun des maillons de la chaîne y trouve son compte ? En Franche-Comté, une filière volaille bio est en train de relever le défi. Rencontre avec un éleveur, un abatteur, et un fabricant d’aliments, pour un poulet bio et une valeur ajoutée locale.
La crise qui frappe les producteurs de lait standard est révélatrice d’un mal dont souffre l’agriculture : la répartition inéquitable de la valeur ajoutée dans la chaîne de valorisation. C’est en fait la filière entière qui est malade. Ses intervenants ne se comprennent plus, leurs intérêts divergent, leurs contributions réciproques se sont muées en rapport de force, puis en conflit. La matière première agricole a perdu de sa valeur, notamment à cause de la mondialisation de l’économie laitière. D’où le regain d’intérêt pour la construction de filières locales, aux opérateurs identifiés et à taille humaine.
Mettre en place un atelier de diversification…
C’est un défi de ce genre qui est en passe d’être relevé en Franche-Comté. A l’origine de l’idée, la Minoterie Dornier de Bians-les-Usiers (25). Ce fabricant d’aliment du bétail collecte des céréales bio principalement sur la région. Son intérêt : multiplier le nombre d’ateliers de production bio dans sa zone de chalandise. Et bien que la filière bio ait le vent en poupe, il faut parfois susciter la demande en aidant les éleveurs à passer le pas. « Nous avons un certain nombre de sollicitations d’éleveurs qui cherchent à mettre en place un atelier de diversification, explique Paul Bignon, spécialiste avicole à la minoterie Dornier. A nous de monter un partenariat. » Pour ceux qui veulent installer un enfant, un conjoint, ou tout simplement diversifier les revenus, l’atelier avicole peut en effet représenter un apport de revenus intéressant sans augmenter trop la charge de travail. Mais dans le bio ou le local, il faut trouver un débouché, et tout le monde n’a pas la fibre de la vente directe.
La certification de l’abattoir de Pelousey
Fort de son expérience alsacienne (voir ci-contre), la minoterie Dornier s’est donc attelée à initier une filière avicole bio franc-comtoise. Mais à la différence de l’Alsace, la Franche-Comté ne disposait pas d’abattoir certifié bio. Parmi les rares abattoirs de volaille CEE existants (6 recensés en Franche-Comté), c’est celui de l’Adapei de Château d’Uzel qui a été choisi, notamment pour sa proximité avec l’agglomération bisontine. Jean-Marie Brocard, responsable de l’activité volaille à Pelousey, a relevé le défi : « Nous avons nous-même un élevage de volailles, et nous abattons sur place notre production. La certification AB de la chaîne d’abattage nous permet de travailler pour d’autres éleveurs. » C’est donc en travail à façon que le modèle va commencer, dans un premier temps, avant de centraliser l’offre. En fait la demande poulet bio vient parfois des grandes surfaces elles-mêmes : « Nous travaillons avec l’ensemble des grandes surfaces de Franche-Comté : parfois dans les discussions avec elles, on nous prend la marchandise conventionnelle mais on nous réclame aussi un peu de bio. Le marché existe, à la filière de l’organiser. »
Incompressible : la marge de l’éleveur
Il ne restera plus qu’à trouver de nouveaux éleveurs prêts à s’engager dans la démarche. « Faire du poulet, c’est une chose ; faire du bio, c’en est une autre », admet Olivier Hézard. Pour rassurer les candidats à la conversion, le modèle de fixation du prix a fait ses preuves en Alsace. « On se réunit deux fois par an, explique Paul Bignon. On fait les comptes sur le coût de production ; le curseur, c’est la marge de l’éleveur. » Autrement dit, sauf accident ponctuel, c’est un revenu assuré pour le producteur. C’est l’inclusion des coûts de production dans le prix, ni plus ni moins ce que les producteurs de lait essayent de mettre en place en ce moment avec leurs collecteurs.
Monter en puissance
Il ne reste donc plus qu’à amorcer la pompe. En amont, la minoterie Dornier assure l’aliment, le conseil technique, voire l’appui à la mise en place des bâtiments et le suivi de l’appel d’offres. En aval, l’abatteur est « prêt à monter en puissance ». Quant au réseau des distributeurs, il est déjà connu de la minoterie Dornier (qui y écoule sa farine notamment) et de l’abattoir d’Uzel (voir ci-dessous). La demande est là, le consommateur a une soif de local qui dépasse l’effet de mode. Il ne reste plus qu’à assurer les volumes, et donc à recruter d’autres éleveurs désireux de s’engager dans la démarche. « Chacun s’engage sur un volume à livrer, précise Paul Bignon. Libre à lui de se garder une partie de la production pour la vente directe. » Loin d’un schéma d’intégration, c’est un modèle de coopération qui se dessine, pour une vraie filière locale.
LD
Minoterie Dornier
Paul Bignon : l’expérience alsacienne
La démarche entreprise en Franche-Comté par la minoterie Dornier n’est pas une première. Paul Bignon, ingénieur agronome et spécialiste avicole à la Minoterie Dornier a déjà lancé pareille opération en Alsace. « Nous avons travaillé avec l’Opaba (organisation professionnelle de l’agriculture biologique en Alsace), les abatteurs Meyer et Siebert, et quatre éleveurs bio, se souvient-il. Nous partions de rien. La première année nous visions 500 poulets par semaine pour 8 bâtiments engagés. » Aujourd’hui, une dizaine de producteurs sont engagés dans la démarche, avec bientôt plus d’une trentaine de bâtiments en production et 4.000 poulets abattus par semaine. D’un seul éleveur de poulet de chair bio en 2008, l’Alsace est passée aujourd’hui à une quinzaine, pour environ 120.000 poulets abattus par an. « Le plus difficile quand on lance une filière c’est l’investissement initial chez l’éleveur. A nous de montrer, chiffres à l’appui, que chacun peut tirer son épingle du jeu. »
Abattoir d’Uzel
Jean-Marie Brocard : le carnet d’adresses de proximité
L’élevage et l’abattoir de l’Adapei de Château d’Uzel a relevé cette année un double défi : doubler la production en volailles conventionnelles, en augmentant la vente de poulet local sous la marque « poulet de Franche Comté » commercialisé en libre-service, et obtenir la certification bio pour son abattoir, malgré la lourdeur administrative et organisationnelle que cela implique. C’est donc chose faite, et depuis cet été les premiers poulets bio sont sortis de la chaîne d’abattage. À ce jour, la vente de poulet bio est encore faite par les éleveurs eux-mêmes. À terme, l’idée est de prospecter les GMS en région et commerces de proximité. En regroupant l’offre, on donnera au client plus de visibilité : la force de frappe commerciale en sera augmentée, d’autant que les GMS sont en attente de bio et de local, l’idéal étant de pouvoir proposer un panier varié et régulier.
Gaec des Aubracs
Olivier Hézard : la souplesse du local
Au Gaec des Aubracs à Villers Bouton (70), on est coutumier des initiatives et des « premières fois ». Cette fois encore, c’est Olivier Hézard qui est le premier éleveur de volailles bio à faire abattre ses poulets bio au Château d’Uzel. « La démarche a du sens avant tout si l’on choisit de minimiser les distances parcourues », fait remarquer Olivier Hézard. C’est le choix du local qui est fait, et qui se répercute aussi sur celui du fournisseur d’aliment. « Quand on commence un atelier de volailles de chair, on ne prend pas tout de suite 3 tonnes d’aliment. Il faut que le fournisseur soit capable de vous livrer 600 kg par exemple, et de vous aiguiller sur les aspects techniques. » Tout en gardant son indépendance (« nous ne sommes pas dans un schéma d’intégration ») Olivier Hézard était demandeur au départ d’un appui technique sur la conduite des animaux et la conception des bâtiments. Aujourd’hui, il fait abattre ses volailles à Pelousey, mais continue à les commercialiser par ses propres circuits. A terme, il y aura un maillon de plus avec lequel il faudra réfléchir, comme ça se fait déjà en Alsace, sur un niveau de partage de la marge.