Fonctionnement du sol / Les observations de terrain effectuées au sein du réseau GAIA permettent de vérifier l’impact du climat sur la restructuration du sol, et d’imaginer des moyens d’améliorer la fertilité.
«C’est une terre de jardin, un vrai régal : la terre est meuble, les lombrics sont très nombreux et la microporosité est bien présente ! », constate Christian Barnéoud, pédologue à la Chambre régionale d’agriculture, en plongeant le couteau dans le profil cultural qu’il vient d’ouvrir à la bêche dans une parcelle en maïs grain. Nous sommes chez Florent Rolet, agriculteur à Cramans dans le Jura, et adepte du non-labour. « Je n’ai jamais labouré une parcelle, explique-t-il. La rotation ici, c’est maïs, soja, blé. Sur cette parcelle, il y a un précédent de quatre ans de luzerne, puis un couvert végétal hivernal multi-espèces (radis chinois, niger, phacélie, vesce…) plutôt réussi, que j’ai détruit au printemps avec 1,5 l de glyphosate. »
La présence des membres de GAIA (lire ci-contre) était ici motivée par la technique du strip till ou culture en bande en français, technique de préparation du sol uniquement sur la largeur de la bande de semis. L’intérêt théorique du strip-till est de faciliter le réchauffement et la minéralisation sous la ligne de semis, ce qui permet un démarrage plus rapide et homogène de la culture. Tout cela sans bouleverser inutilement l’activité biologique du sol, et en économisant du carburant. « Je fais strip-tiller par une entreprise depuis deux ans, et je sème deux ou trois semaines plus tard : j’ai choisi cette option car je n’ai pas de semoir maïs adapté au semis direct, précise Florent Rolet. La prestation de l’entreprise revient à 75 €/ha. Elle utilise un strip-till à huit rangs, équipé d’une dent de fissuration, d’un disque annelé, suivie de deux disques pour ouvrir la raie de semis et d’une roue-cage. Je sème ensuite avec mon semoir à quatre rangs. » Sans système de guidage GPS, le cultivateur sème en suivant la trace laissée par le passage du strip-till. « ça ne pourrait pas être le cas si le strip-till était réalisé à l’automne, car la trace serait effacée. »
Lombrics abondants
L’observation du sol fait apparaître une composition quasi-idéale : des limons argilo-sableux, riches en carbonates de calcium, comme le montre le test à l’acide (mousse abondante). « C’est ce qu’on appelle ici des terres franches. Ces carbonates de calcium sont un atout, un facteur de résilience des sols. » L’abondance des lombrics, en particulier des « anéciques » bicolores, est aussi un bon signe en termes de fertilité. Ces vers de terre se nourrissent de débris végétaux en surface, qu’ils emmènent en profondeur. « Ils font l’ascenseur, résume Christian Barnéoud, et facilitent la circulation de l’eau, de l’air, la respiration du sol. » La manipulation des mottes, leur rupture, aussi bien sous la ligne de semis que dans l’inter-rang, met en évidence une bonne structure, friable et homogène. « Même en limitant fortement le travail du sol, il arrive que l’alternance du gonflement et de la rétractation liée au climat ne suffisent plus à ouvrir suffisamment le sol pour permettre le brassage de la matière organique par l’activité biologique de la faune et de la microfaune. Le sol se referme alors et les racines n’ont plus accès qu’aux premiers centimètres… c’est un point à surveiller, prévient le pédologue qui vient de tomber sur une motte qui s’est fracturée sur un plan horizontal. On voit ça dans certaines prairies anciennes par exemple. Et en cas de sécheresse, tout grille ! »
Imaginer le bon outil
Il faut dans ce cas trouver l’outil adéquat pour donner un coup de pouce au sol et relancer son fonctionnement normal. « Ce n’est pas une approche dogmatique : quand vous vous faites une entorse de la cheville, vous allez marcher quinze jours avec des béquilles, et puis vous n’en aurez plus besoin. Pour le sol c’est la même chose, il faut parfois débloquer une situation qui l’empêche de fonctionner normalement. » Décompacteur, dent vibrante… de nombreuses options sont possibles, à choisir en fonction du type de sol, de la nature du problème, sans négliger les conditions de passage.
En poursuivant l’exploration du sol, à 35 cm de profondeurs, la terre est sèche, elle ne laisse pas d’humidité sur les doigts. Le manque de précipitations a clairement été le facteur limitant du rendement du maïs cette année, dans cette parcelle « Je n’ai pas fait de désherbage de rattrapage, quand j’ai vu le potentiel plutôt faible », précise Florent Rolet. « Malgré les 40 mm de précipitations tombés ces jours-ci, ça reste très sec, observe Philippe Koehl, d’Interval. Quand on regarde le diamètre des tiges à leur base, on a l’impression que le maïs n’a pas pu faire sa poussée de croissance dans de bonnes conditions, qu’il a toujours manqué d’eau. » Autre source d’inquiétude pour les participants, la présence de larves de pyrale dans plusieurs épis, malgré la lutte intégrée par la mise en place de trichogrammes : est-ce la deuxième génération de ce parasite, permise par le climat particulièrement chaud de cette campagne ? « Il faudra veiller à bien broyer les cannes après la récolte… » La visite se poursuit par d’autres « trous » : dans la même parcelle, avec un précédent différent (le blé), puis dans une autre parcelle, avec une composition de terre différente – 33 % d’argile – puis sous un chaume de blé. C’est chaque fois l’occasion pour les participants du groupe GAIA de plonger les mains dans la terre, de confronter leurs observations, leurs hypothèses. « C’est une bonne manière de prendre conscience de l’impact du climat sur la restructuration des sols ou au contraire leur fragilisation : pour éviter de trop subir ce dérèglement, il est nécessaire de favoriser, entretenir, préserver, voire augmenter quand c’est possible la fertilité globale des sols. »
Alexandre Coronel