Projet de méthanisation à Granvelle-et-le-Perrenot / La production d’énergie par les agriculteurs connaît un fort développement. Le projet de l’unité de méthanisation à Granvelle-et-le-Perrenot permet d’entrevoir, à travers les débats et prises de position qu’il suscite au sein du monde agricole, la complexité du sujet.
L’agriculture a-t-elle pour vocation la production d’énergie ? C’est sa vocation première, lancent en guise d’introduction les sénateurs chargés d’une mission d’information sur ce thème, rappelant que la fourniture d’aliments pour les hommes, ainsi que pour les animaux qui les ont longtemps transportés… correspond bien à cette définition ! Mais les productions d’électricité, de biocarburants et de biogaz, qui se développent fortement depuis quelques années dans le paysage français, posent évidemment de nouvelles questions ! Et le projet d’unité de méthanisation de Granvelle-et-le-Perrenot, porté par un collectif de quatre agriculteurs du Doubs et de Haute-Saône, illustre bien la complexité des enjeux de ce sujet.
Acceptabilité sociale
En premier lieu, les agriculteurs sont désormais systématiquement questionnés sur la pertinence de leurs choix, non seulement techniques, mais aussi structurels : utilisation des produits phytosanitaires et des médicaments antibiotiques, conduite d’élevage et taille des exploitations, assolements, compatibilité avec protection de la faune sauvage… Il est donc logique que la production énergétique ne fasse pas exception ! Le projet de Naturalgie prévoit d’implanter son unité de production de biogaz, à l’extérieur du village de Granvelle, sur une parcelle agricole située le long de la RD474. Les délibérations municipales autour du passage de la canalisation qui relierait le site au réseau du Grand Besançon par les villages de Tresilley, Maizières, Voray et Fondremand ont porté l’entreprise à la connaissance du public. Un « collectif citoyen de vigilance » s’est organisé, fédérant les oppositions. Avec des arguments sur les thèmes de la menace sur la qualité de vie, des nuisances liées au surcroît de trafic routier, au risque d’accident industriel, mais aussi d’ordre plus philosophique, qui interrogent la légitimité des usages non-alimentaires des surfaces agricoles, ou encore le bilan environnemental réel d’une telle opération. S’en est suivie une manifestation le 14 juillet, l’interpellation de la préfète…
Incompréhensions et militantisme
David Petithuguenin, l’un des agriculteurs porteurs du projet, argumente pied à pied face à des militants très documentés et déterminés : « des unités comme celle-là, il en existe déjà des dizaines en France. Nous nous sommes appuyés sur des études très complètes, qui nous permettent par exemple de mesurer l’impact sur le trafic routier. Pour 90% du tonnage, qui sera concentré sur une durée d’un mois, ça représente 50 camions par jour, sur un axe routier qui en voit passer déjà 2 000 ! L’installation ne sera pas visible depuis les dernières habitations du village. Quant à l’approvisionnement, il sera très largement assuré par les cultures industrielles à vocation énergétique (les CIVE) cultivées en dérobé, c’est-à-dire entre deux cultures principales. C’est une pratique favorable à l’environnement, qui permet d’assurer la couverture permanente des sols, et ne concurrence justement pas les autres usages – productions alimentaires et fourragères. » L’agriculteur fait aussi valoir que la disponibilité en digestat sera un levier pour favoriser le passage à l’agriculture biologique d’exploitations du secteur, un atout en termes de protection de l’eau et de la biodiversité.
Divergences d’analyses
Le projet se heurte aussi à des oppositions dans la profession agricole, et pas des moindres, puisque les élus de la Chambre d’agriculture de Haute-Saône ont émis un avis défavorable. « Ce n’est pas une question de personnes, assure le président Thierry Chalmin : nous nous sommes appuyés sur des aspects techniques. L’expertise de nos services, qui accompagnent des projets de méthanisation en Haute-Saône depuis plus de 10 ans, nous a permis de pointer plusieurs incohérences de dimensionnement, dans l’adéquation entre l’objectif de production de gaz annoncé, la taille des installations et les surfaces nécessaires pour les alimenter. La réussite des intercultures, en agriculture biologique de surcroît, revêt un caractère très aléatoire… et faire reposer l’alimentation d’un méthaniseur principalement sur cette ressource nous semble très risqué. Pour le projet lui-même, mais aussi pour son environnement professionnel, avec le danger de voir s’orienter vers la méthanisation des cultures initialement prévues pour nourrir les animaux, et d’exacerber la concurrence pour les surfaces, les fourrages. Rappelons que les méthaniseurs ont été inventés pour valoriser les effluents animaux. L’axe politique que nous défendons, à la Chambre d’agriculture, c’est le développement de productions énergétiques en harmonie, en cohérence avec l’agriculture départementale. Pour le photovoltaïque par exemple, nous préférons les installations en toiture, que celles au sol qui interdiraient une production agricole. »
David Petithuguenin se défend aussi sur ce terrain. « Nous avons l’option, en cas d’aléa climatique par exemple, d’utiliser le fumier de nos exploitations comme alternative, pour faire tourner le méthaniseur sans avoir recours à l’ensilage de maïs. Notre gisement est de 10 000 T., ce qui correspond grosso modo, en termes de capacité de méthanisation, à un tiers de nos besoins. C’est une large sécurité, bien plus importante que celle d’autres installations, dédiées en principe à la valorisation des effluents d’élevage, mais qui dans les faits consomment régulièrement du maïs ensilage. » Le mot de la fin reviendra de toute façon à la préfète, comme le conclut Thierry Chalmin « notre avis n’est que consultatif, et maintenant la balle est dans le camp de l’administration. »
AC