smart

Mission Sokodé / Notre ancien collègue Louis de Dinechin nous donne des nouvelles de sa mission humanitaire au Togo. Après le forage d’un puits pour sécuriser la production maraîchère en saison sèche, c’est un grand chantier de plantation d’anacardiers, ou pommiers-cajou, qui a été réalisé.

«Giono semble bien être le fil conducteur de nos rapports. Le précédent avait des accents du Hussard sur le Toit… Celui-ci sonne un peu comme L’Homme qui plantait des arbres. Enfin, les 4 ha d’anacardiers sont bien mis en terre. Plus que trois ans, et les premières noix de cajou pourront être récoltées. » nous écrit notre ami Louis dans son rapport de mission, daté du 1er septembre dernier. La communauté  du Puits de Jacob, au service de laquelle il s’est mis avec son épouse Sophie, souhaite en effet développer un projet agricole sur 17 hectares de terre reçus en donation, avec la reprise d’une plantation d’anacardiers, de tecks ou d’orangers… 
Les anacardiers, ou pommiers-cajoux, sont des petits arbres tropicaux originaires d’Amérique du Sud. Leurs amandes blanches, comestibles, appelées noix de cajou, sont abritées par une coque acre et toxique. « Le marché mondial est porté par l’Inde et le Brésil, et l’Afrique de l’Ouest fait office d’outsider. Mais il se trouve que l’usine de Tchamba (près du Bénin, à 40 km de Sokodé) a développé un marché bio, avec les États-Unis notamment, qui est très porteur. Alors va pour le bio ! », poursuit l’agronome, qui a donc dû composer avec les réalités du marché… et celles de l’Afrique.

1200 plants en terre
« Nous avons décidé de planter un mélange de plants greffés (productifs mais chers) et de francs (issus de graines) améliorés. Le travail de plantation en lui-même a commencé le 22 juin. Le 28 juillet, Florence, Islam et moi avions planté 1 200 arbres, soit, avec les plants ayant survécu de l’an passé, plus de 4 ha de verger. » Or les notions de propriété, de bail, de fermage… sur lesquelles les agriculteurs français s’appuient pour construire et faire vivre leurs projets professionnels, n’ont pas d’équivalent au Togo, où le droit coutumier prévaut, et où 95 % de la population cultive la terre. « Nous plantons bien entendu sur notre terrain, mais sur des parcelles cultivées par des “métayers” que nous ne connaissions pas tous. Il faut dire qu’ici, n’importe qui peut venir cultiver chez vous, s’il en a la légitimité : le terrain “appartenait” à sa “communauté”, ou bien il le cultive “depuis-depuis” c’est à dire depuis fort longtemps, ou alors son père l’a cultivé… Nous avons donc réuni tous les métayers un matin : trois enseignants, un technicien en génie-civil, un vigile, un étudiant… Nous avons expliqué le cahier des charges bio, et pourquoi nous imposions certaines contraintes. Je me sentais un peu morveux d’interdire l’ammonitrate à des gens qui vivent de leurs rendements. Surtout compte-tenu de la pauvreté des sols (lire à ce sujet l’article consacré au teck). Pour compenser, nous avons organisé un achat groupé de fumier de poule, vendu à prix coûtant. C’est mieux que rien. Nous avons aussi fait signer une sorte de bail de métayage : grosse nouveauté pour nos amis togolais ! » 

Travail de jalonnage
« Mon travail pendant un mois a surtout été celui d’un géomètre, récapitule Louis : de fait, un bon tracé est un préalable à une bonne plantation. Sans quoi les houppiers s’entremêleront et les lignes seront difficiles à entretenir, voire à mécaniser si un jour la possibilité nous en était donnée. Aligner des jalons, tirer un mètre ruban, planter des piquets, mesurer des diagonales, vérifier des azimuts… J’ai usé mes semelles et je dois racheter des casse-goudrons (ces tongs togolaises faites en pneu de camion). » 
Un homme blanc qui travaille aux champs, et qui parfois transporte trois enfants sur sa moto, ne passe pas inaperçu dans la campagne togolaise. « A tel point que de l’autre côté de la ville, des gens que je ne connais pas me “reconnaissent” et me saluent d’un : “c’est toi le Blanc qui cultive à Kparioh !” », s’amuse Louis.
Ces occasions à palabres permettent de tisser des liens avec les locaux, et de bénéficier parfois d’une aide innatendue. « Je me suis ainsi fait des amis dans la gendarmerie (bien utile parfois quand on vous retient aux barrages), parmi les voisins, les passants. Un jour, trois jeunes viennent me questionner : ils sont géomètres et doivent borner un terrain voisin. On discute quelques minutes. Ils ont un théodolite (instrument de triangulation avec une visée optique, utilisé pour dresser les cartes, les tracés routiers… qu’on peut voir sur les chantiers, monté sur un trépied), et des smartphones en guise de GPS, mais c’est la première fois qu’ils voyaient une boussole. Au bout de quelques minutes, ils se mettent, sans rien dire, à m’aider. C’est comme ça ici : les gens vous aident, sans forcément rien demander en retour. J’ai donc piqueté pendant une matinée avec quatre géomètres professionnels qui me déplaçaient les jalons et me coupaient la végétation ! »

« La paresse rentrerait dans mes veines »
« Florence et Islam, mes deux ouvriers (ceux qui ont eu le courage de tenir jusqu’au bout !) ont bien trimé. Je traçais les lignes, « taillais » la végétation au coupe-coupe, et eux creusaient, mettaient le fumier et plantaient. Chaque jour je les remerciais pour le travail, comme on fait chez nous, et ça leur paraissait très extravagant qu’un adulte remercie un jeune. Un jour Islam me dit qu’il faut arrêter de le remercier. Son argument choc : “Merci à vous, parce que si vous n’étiez pas là je resterais à la maison et la paresse rentrerait dans me veines !” Il ne nous reste plus qu’à souhaiter à Louis et à Sophie, pour rester avec Giono, “que la joie demeure !” » n

AC, d’après le rapport de mission n°3
de Louis et Sophie de Dinechin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.