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Filière Laitière / Après avoir subi de sévères chutes de prix pour leurs produits, les agriculteurs voient remonter les marchés mondiaux. Ils espèrent, principalement dans l’activité laitière, que cette remontée des prix puisse enfin leur être bénéfique. Une analyse tempérée par l’industrie laitière dont le président de la Fnil, Olivier Picot, apparaît moins optimiste. De son côté la FNPL compte bien mettre en place les conditions par lesquelles la hausse des prix devrait davantage bénéficier à l’éleveur. 

«Il n’y a pas eu de crise », lançait le président de la Fnil (Fédération nationale de l’industrie laitière), Olivier Picot en conférence de presse le 6 décembre. Une appréciation qui aurait eu de quoi révolter un éleveur s’il avait été dans la salle. Mais loin de vouloir faire de la provocation, Olivier Picot voulait surtout démontrer que les baisses de prix des produits laitiers constatées depuis deux ans constituaient tout simplement un des aspects de la volatilité des prix, tout comme la remontée actuelle des prix mondiaux du lait. Pour lui, cette baisse de prix, si elle a été très sévère pour les éleveurs, n’a engendré aucune transformation structurelle de la filière. « Business as usual ».

Remontée spectaculaire
Victimes de la dépression, les éleveurs profiteront-ils à due concurrence de la hausse des cours des marchés mondiaux qui s’observe actuellement ? Les industriels, à entendre Olivier Picot, sont bien prudents là-dessus. Alors que « nous n’avons jamais connu un bas de cycle aussi long », remarque Gérard Calbrix, l’économiste de la Fnil, la remontée actuelle est spectaculaire sur les grands produits industriels. La cotation du beurre est passée de 2 400 € en avril 2016 à 4 500 € aujourd’hui, avec un prix à terme de près de 5 000 € sur janvier. Sur la même période, les fromages industriels de type Gouda ont vu leurs cotations grimper de 1 800 € à 3 400 €. Seule la poudre de lait reste à des prix bas, alors même que la Commission européenne s’apprête à remettre sur le marché des stocks d’intervention. Bruxelles, semble-t-il, est obsédée par l’idée de ne pas laisser les prix du marché laitier grimper trop vite. La baisse de production européenne depuis quelques mois, le retour de la Chine aux achats, des problèmes climatiques en Nouvelle Zélande, des réductions de production également en Australie et en Amérique du Sud, tout concourt à raréfier l’offre sur les marchés mondiaux.

Les Français profitent moins des hausses
Du coup, là où le marché fonctionne à plein, les prix sont remontés, permettant aux éleveurs de retrouver une situation plus correcte. Mais cela se limite pour l’instant à l’Europe du Nord, région qui avait connu les baisses les plus sévères. Et les Français ? Olivier Picot est plus que prudent sur la répercussion de la hausse des prix aux éleveurs de l’Hexagone. De fait, jusqu’à présent, le prix du litre de lait payé à l’éleveur n’a quasiment pas bougé en France. « Nous serons peut-être à 30 centimes le litre à la fin de l’année », dit-on à la Fnil. Alors que le néerlandais FrieslandCampina paie déjà 35 centimes (équivalent France standard). Les Français subissent un peu moins la baisse des prix mais profitent beaucoup moins des hausses. La raison ? La grande distribution, accuse Olivier Picot. Selon lui, la guerre des prix que se livrent les enseignes se répercute durement sur les conditions des fournisseurs. Ceci pour une raison principale : la loi LME (loi de modernisation de l’économie) et ses deux conséquences principales : l’abaissement du seuil de revente à perte et l’autorisation de la discrimination des fournisseurs. Le président de la Fnil prévient les éleveurs : si les négociations commerciales actuelles ne permettent pas de relever les prix des produits laitiers, les industriels ne seront pas en mesure de relever pleinement la rémunération de l’éleveur. Un bémol cependant : les éleveurs qui livrent à des entreprises très engagées sur les marchés mondiaux profiteront bien du pro rata de la hausse des cours. Mais les produits industriels (« commodities ») ne représentent sur le plan national qu’un petit 30 % de la valorisation du lait. Pas question d’accepter ce raisonnement, répond en substance André Bonnard, secrétaire général de la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait). Pour lui, l’argument du poids des distributeurs se retourne contre les industriels. En 2015-2016, les prix d’achat du lait sortie usine n’ont baissé que de 2 % alors que les prix sortie élevage se sont effondrés de 30 %. Pour les éleveurs, les industriels ont joué un jeu de poker menteur, arguant de l’étranglement par les grandes surfaces pour baisser leurs coûts d’approvisionnement. Les éleveurs ne sont pas les seuls à s’en être rendu compte. Les distributeurs sont du nombre. Ce serait en partie pour cela que Carrefour a voulu faire payer une « remise complémentaire de distribution » par ses fournisseurs agroalimentaires. Initiative vite dénoncée au ministère de l’Économie qui a assigné l’enseigne devant la justice.

Plus de transparence
Dans ce contexte, la FNPL a voulu contraindre les industriels à un peu plus de transparence. Elle a fait, un peu laborieusement parfois, signer des chartes laitières de valeur, dont le principe a été repris par la loi Sapin 2. Celle-ci prévoit que, dans les contrats d’approvisionnement entre industriels et distributeurs, figurent les prix payés aux éleveurs. L’année 2017 permettra de voir si l’opération est réussie. Les éleveurs rappellent aussi que dans les contrats qui les lient aux industriels, au moins la moitié du prix (et non un tiers) concerne les produits industriels et de grande consommation exportés. Ce qui implique une répercussion bien plus forte que ne le prévoient les industriels, des hausses de prix du marché mondial. L’idée des producteurs est de tirer toutes les conséquences de la libéralisation des marchés depuis la suppression des quotas. Et donc de lier très directement le prix payé au producteur à la valorisation qu’apportent chaque entreprise et chaque filière. L’heure n’est plus à des manifestations d’envergure comme ce fut le cas récemment devant Lactalis. On manifeste quand le prix s’effondre mais beaucoup moins quand il peut remonter.

Mobilité des producteurs
La bataille des producteurs sera plus discrète mais peut-être plus profonde. Cela pourrait aller jusqu’à prôner et obtenir une mobilité plus grande des producteurs. Lui permettre de changer de laiterie s’il estime que celle-ci ne lui apporte pas la valorisation suffisante. « C’est une question qui n’est pas encore suffisamment travaillée », estime André Bonnard qui compte bien y remédier. Pourquoi pas, aussi, faire venir des industriels laitiers étrangers histoire de stimuler encore plus la demande ? Rachetée en juin dernier par Lactalis, la fromagerie Graindorge aurait intéressé, selon André Bonnard, le groupe danois Arla. De même que Guilloteau, acquis finalement par Eurial. Cependant, s’ils venaient en France, les groupes étrangers ne viendraient-ils pas davantage pour le marché et la valorisation qu’il permet que pour acheter du lait français ? Olivier Picot ne manque pas de souligner régulièrement que le prix du lait français est plus élevé de 10 % à 20 % que celui des pays du nord de l’Europe. C’est vrai lorsque les cours de l’UE sont au plus bas. C’est l’inverse lorsqu’ils sont au plus haut. D’ailleurs, le 6 décembre, lors de sa conférence de presse, le président des industriels se gardait bien de renouveler l’argument.

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