Lait / Invitée à témoigner le 27 mai à la journée lait organisée à Vesoul par la FDPL, Katrine Lecornu apportera son expérience de présidente du réseau européen European Dairy Farmers. Une vision sans œillère de la filière pour une vraie remise en question de notre vison de la production.
Comment les producteurs des autres pays européens abordent-ils la sortie des quotas ?
Les quotas ne vont pas changer grand chose. À vrai dire, on déplace la contrainte : plus de quotas administratifs, mais des réglementations régionales, des normes politiques, la contractualisation… D’autres facteurs vont devenir limitants. C’est un nouveau contexte, mais ce n’est pas la production sans limite que certains imaginent.
Va-t-on assister à une accélération de la déprise dans les zones excentrées, comme notre bassin de production du Grand-Est ?
A l’échelle européenne, des travaux récents prédisent en effet une concentration des volumes dans le grand nord-ouest (Irlande, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Danemark) et une baisse de production dans les autres régions. Ceci dit, quelles conséquences cette concentration va avoir ? Est-ce que cela va provoquer un retournement de situation ? On ne sait pas encore.
Quel pourrait être ce retournement de situation ?
La concentration des volumes impliquera une augmentation des coûts de production dans ces zones. Certes on y fera des économies d’échelle (coût de collecte, services). Mais on s’attend a de nouveaux problèmes : augmentation de la pression foncière, contraintes environnementales supplémentaires (kg de lait par ha plafonnés), augmentation du coût de fourrage et du coût de l’aliment, coût du traitement des déjections… A titre d’exemple, les producteurs flamands qui veulent épandre leur lisier en Wallonie sont dès aujourd’hui obligés de le pasteuriser ! Vous imaginez le coût de l’opération…
Tout n’est donc pas joué à ce jour ?
Côté marchés, les analystes savent que la demande mondiale à long terme restera élevée. Les cours devraient également augmenter, mais avec une grande volatilité et des coûts de production eux aussi en hausse, peut-être même plus vite que les cours. Reste que le système comme je l’ai dit peut arriver à ses limites, et certaines régions garderont toujours un avantage concurrentiel pour le lait, en particulier là où les céréales ne viendront pas concurrencer l’herbe. La contrainte main-d’œuvre viendra elle aussi changer la donne : quels moyens d’organisation se donne-t-on, de quelle technologie s’équipe-t-on, sans que ça nous coûte trop cher ? Hier, c’était plus facile de faire du lait car la marge de manœuvre était meilleure, et on avait le droit à l’erreur. Ceci n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut s’adapter et se poser les bonnes questions : mon collecteur a besoin de quoi ? Le consommateur demande quoi ?
Comment la contractualisation est-elle vue à l’extérieur de nos frontières ?
C’est vraiment un débat très français, et nos voisins ouvrent de grands yeux en nous voyant en perpétuel conflit avec nos collecteurs. Dans les autres pays européens il y a le plus souvent une vraie relation de partenariat car producteurs et collecteurs ont conscience de leur interdépendance. Personnellement, je produis du lait, et je n’ai aucune ambition de le transformer. De même, la plupart des laiteries ne souhaitent pas se lancer dans la production.
A qui la faute ? Comment les autres s’en sont sortis ?
La faute est partagée. Le producteur français n’a pas bonne réputation. Quant aux transformateurs, ils ne jouent pas le jeu du partage de la valeur ajoutée, de la répercussion des embellies. Il faut arrêter de vouloir tirer la couverture de son côté, et reconstruire dans la communication et la confiance. En Irlande par exemple, la filière a réussi a se mettre d’accord sur une stratégie : éleveurs, banques, transformateurs, conseillers, écoles se sont mis autour de la table. Aux Pays-Bas également, même si la situation est plus facile avec un seul syndicat (LTO), une seule laiterie (Friesland Campina), une seule banque. En France, il n’y a pas de problème de fond pour réussir ce même partenariat : nous avons tout : le climat, le sol, le prix du foncier, les transformateurs… C’est juste un problème de forme. Il ne faut pas vouloir copier le modèle d’Europe du Nord, d’une part car c’est trop tard, d’autre part à cause du contexte de la filière laitière française qui n’est pas la même que dans ces pays. Il faut trouver notre propre solution en prenant en compte la triple contrainte économique, environnementale et sociétale.
Propos recueillis par LD