Le secteur du commerce d’animaux d’élevage s’est approprié les outils numériques. Ce faisant, de nouvelles pratiques sont apparues, dont la pertinence s’est trouvée renforcée par la crise sanitaire. Mais le numérique apparaît avant tout comme un outil complémentaire à une activité où l’échange humain demeure la règle.
Ce jour-là, cet éleveur de Saulieu, en Côte-d’Or, était retenu à sa ferme pour un vêlage. De plus, il était souffrant. Lui qui voulait absolument acheter un taureau se trouvait en mauvaise posture. Pourtant, à la fin de cette journée de février 2020, son taureau, il l’avait. Son secret ? La connection à la vente de la station charolaise de Créancey grâce à sa tablette numérique et la possibilité d’enchérir par ce biais. Cette histoire, c’est Jean-Pierre Godot, président de la station en question, qui la raconte, encore étonné de l’efficacité du dispositif de vente à distance mis en place ce jour-là pour la première fois. En ce jour de février 2020, une page de l’histoire du commerce d’animaux d’élevage s’est peut-être tournée. Mais en arriver là aura réclamé quelques années de réflexion. « Au début, précise Jean-Pierre Godot, je ne croyais pas beaucoup en cet outil. J’étais persuadé que les gens voulaient voir les veaux avant de les acheter. » La station possède un site internet qui fait référence dans le domaine : video de veaux à la sortie, description de l’ascendance, photo des parents… Les informations importantes pour tout acheteur y figurent. « Au fil du temps, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait de plus en plus d’éleveurs qui choisissaient leurs taureaux en amont, en fonction de leurs critères, et qu’ils se déplaçaient de moins en moins pour les voir avant l’achat. Ils venaient encore pour le jour de la vente. Ensuite, on s’est aperçu que beaucoup d’acheteurs nous faisaient confiance, décidant de ne plus se déplacer (empêchement de dernière minute, distance, problème de santé…) ils se sont mis à nous envoyer des listes de taureaux qu’ils souhaitaient acheter, sous plis cachetés et ils nous confiaient la mission de monter les enchères pour eux, en toute transparence. Acheter à distance, pour eux, ce n’était plus un problème. » La station de Créancey a décidé de franchir le pas, l’an passé, avec Martial Tardivon, directeur de la Sicafome, basée dans la Nièvre, et d’aller plus loin dans cette logique en utilisant les outils numériques. Il fallait pour cela une technologie fiable et suffisamment réactive pour ne pas défavoriser les acheteurs à distance par rapport à ceux présents sur place. La première vente sous cette forme avec l’outil adéquat s’est tenue en février 2020, juste avant le premier confinement. « Nous avions une dizaine de personnes connectées. Parmi elles, il n’y avait pas que des acheteurs, on trouvait aussi des responsables professionnels de toute la France en charge d’analyser le process et l’améliorer si besoin. » Même si elle n’a pas été conçue dans ce but, cette vente se trouve particulièrement adaptée aux contraintes de la crise sanitaire qui se posent. Pour autant, le principe de la vente en présentiel n’est pas jeté aux orties. La station de Créancey espère bien pouvoir la maintenir sous cette forme au printemps. « C’est une convivialité importante à préserver. Au printemps, les éleveurs sortent des vêlages, les acheteurs, les vendeurs, les partenaires apprécient de se retrouver. Néanmoins, nous allons maintenir ce système de ventes à distance et tenter de le développer. On ne reviendra pas en arrière. »
Répondre à des attentes précises
Selon Martial Tardivon, sur ce thème du numérique, la Sicafome privilégie deux axes de travail : sur les animaux de commerce et sur les reproducteurs. Pour les premiers, les ventes à distance se font depuis 2016. « Le but était de répondre à des attentes d’éleveurs qui avaient des difficultés à se déplacer avec des lots importants de bêtes sur les marchés. Nous avons eu l’idée d’aller filmer ces lots dans les exploitations. On se met d’accord avec l’éleveur sur le prix, sur le poids, on fait un montage vidéo des images prises et on met cela sur notre chaîne Youtube. J’envoie le lien de la vidéo à mes acheteurs. Le mardi matin, jour de marché, on projette la vidéo au milieu de la vente, on présente ce qui est à vendre, à quelle distance ça se trouve du marché. On communique également les dates de naissance des animaux, tout ce qui est nécessaire au niveau sanitaire. Tout se passe comme s’ils étaient physiquement présents. Dans le cas d’une vente par video pré-enregistrée, l’enchère se fait sur un prix au kilo au départ de la ferme. A partir du moment où les animaux sont vendus, l’acheteur a sept jour pour les enlever. » Si cette solution, instaurée il y a cinq ans, fonctionne bien, la Sicafome ne souhaite pas pour autant qu’elle remplace le marché physique. « Notre métier reste de rassembler des animaux dans un lieu donné, sur un temps donné et de mettre les acheteurs en concurrence. Néanmoins, nous sommes conscients qu’un jour ou l’autre nous vendrons peut-être plus d’animaux par le biais de la vidéo qu’en physique. » Du côté des animaux reproducteurs à destination des stations génétiques, la Sicafome a évolué vers un système d’enchères en live, là-encore pour répondre aux besoins exprimés par ces stations. Il permet aux acheteurs qui ne peuvent se déplacer, d’enchérir de chez eux. « Ils nous sollicitent 48 heures avant la vente, nous leur donnons un identifiant et un mot de passe, ils se connectent sur notre site au moment de la vente et ils ont alors la vidéo de l’animal qui est présenté, sa fiche-carrière et ils peuvent enchérir de la même façon que ceux qui sont sur place. Nous avons mis 18 mois pour développer ce système et nous l’avons inauguré le 15 janvier 2020 au Marault, dans la Nièvre. » Le principe a tout de suite porté ses fruits. « L’arrivée du Covid là-dessus nous a « boosté ». C’est l’outil idéal dans ce cas de figure. C’est aussi très complémentaire des portes-ouvertes organisées dans les élevages durant lesquelles des acheteurs peuvent repérer des animaux qui les intéressent et ensuite les acquérir, sans pour autant avoir besoin de se déplacer une seconde fois pour la vente. » Avant de disposer de l’outil numérique, la Sicafome faisait entre 5 et 6 ventes de reproducteurs par an. L’an dernier, avec l’effet Covid en plus, elle en a réalisé une douzaine et pour 2021, Martial Tardivon indique que 17 contrats sont d’ores et déjà passés.