Elevage ovin / La série d’attaques de troupeaux ovins de ces 15 derniers jours par « un grand canidé » met les éleveurs dans une impasse : ni les mesures de protection prévues par le plan loup, ni le dispositif d’indemnisation ne permettront de perpétuer une production déjà fragile, qui contribue pourtant à l’économie et à l’entretien du territoire, au maintien des paysages et de la biodiversité.
20 janvier 2021, entre Aboncourt et Gevigney : dans ce finage bordé par la forêt, des pâtures alternent harmonieusement avec quelques champs cultivés. Dans la parcelle de Gilles Simonin, il ne reste pas de traces de l’attaque du troupeau de brebis qui s’est produite quelques jours auparavant : « il y avait des animaux éparpillés partout », relate sobrement l’éleveur, encore sous le coup de l’émotion. Venue sur le terrain à la demande d’Emmanuel Aebischer, président de la FDSEA, la préfète de Haute-Saône, Fabienne Balussou, a pu mesurer le désarroi des éleveurs touchés par les récentes attaques sur leurs troupeaux. Depuis le 7 janvier, huit attaques ont entrainé la mort de 74 ovins, six disparitions et huit blessés, dans une zone assez large du Nord-ouest du département : la dernière en date est survenue dans le secteur de Passavant-la-Rochère. Madame Simonin met en perspective la transmission de l’exploitation familiale « on était en train de monter une petite troupe ovine, pour préparer l’installation de notre fils qui envisageait de s’installer comme double-actif… et là on ne sait plus quoi faire », s’interrompt-elle, la voix brisée par l’émotion. La production ovine, moins aidée et moins rémunératrice que les autres, touchée régulièrement par des crises sanitaires et économiques, fournit pourtant des produits de qualité, et participe largement à l’entretien et l’aménagement du territoire…
L’incompréhension de deux mondes
Si les éleveurs ovins présents et les représentants professionnels présents à cette rencontre, ou participant la veille en visioconférence au comité loup organisé par la préfète ont reconnu la réactivité des services de l’Etat face aux évènements, la réponse de l’administration laisse un sentiment de décalage par rapport à la réalité du terrain. « Le loup appartient à une espèce protégée, et on ne peut pas faire n’importe quoi. Je comprends l’envie de certains d’un traitement expéditif de cette question, mais je le répète, comme hier lors du comité loup, il faut éviter de s’exposer », a martelé la préfète, avant de laisser la parole à Thierry Poncet, le directeur de la DDT du département, pour détailler justement le cadre réglementaire prévu pour gérer la présence d’un loup – si s’en est un, car l’expertise prend du temps. « D’abord protéger, c’est la base du dispositif : il faut déployer des mesures de protection qui permettent, même si on ne peut pas garantir leur efficacité à 100%, d’abaisser le niveau de risque. Si je fais un parallèle avec le cambriolage, aucun dispositif ne permettra d’empêcher un cambrioleur de s’introduire chez vous… mais ça sera quand même plus compliqué avec une serrure à trois points et une porte blindée que si vous laissez la porte ouverte… » Or le déploiement des mesures de protection proposées, qui consistent en filets électrifiés de 80 ou 120 cm de hauteur (grillage ursus surmonté d’un fil électrique) voire d’une double clôture, à mettre en place des effaroucheurs (cerbères)… ou à rentrer les animaux en bâtiment chaque soir, semble bien peu approprié aux spécificités des systèmes d’élevage du secteur. « Je conduis mes brebis de manière très extensive : elles sont toute l’année au pâturage, en petites troupes car mon parcellaire a 21 îlots », explique Gilles Simonin, dont le mode d’élevage est assez représentatif des pratiques du secteur. Faut-il déployer des kilomètres de clôture, équiper tous les élevages ovins, avec le coût – malgré la subvention à 80% – et le temps que cela représente, pour un risque de prédation dont on a beaucoup de mal à estimer la fréquence ? Pourtant, ce loup ne vient pas de nulle part… Lucie Legroux, animatrice du syndicat ovin de Franche-Comté, a précisé lors du comité loup « il y a eu une attaque en côte d’Or le 29 novembre dernier, et une le 13 décembre dans le secteur de Dole », regrettant au passage le manque de communication et de coordination entre les départements sur ce sujet. Reste que la trajectoire d’un individu isolé d’une meute garde une dimension aléatoire et imprévisible, comme l’illustre la dispersion des récentes attaques, et la phase de “silence” qui l’a précédée. « Nous devons travailler à améliorer la communication », a reconnu la préfète, qui a aussi incité les éleveurs à s’inspirer des expériences de leurs collègues déjà confrontés à la présence du loup « en Saône et Loire, en Meurthe et Moselle, où le contexte d’élevage ovin en plaine est assez similaire »
Le fusil en dernier recours
Si l’Etat français est contraint, par la convention de Berne et l’Union européenne, à « garantir le maintien de l’espèce protégée loup au-dessus du seuil de viabilité estimé à 500 individus pour la France. », il n’exclut pas le prélèvement sporadique d’animaux problématiques… « Mais la réponse est graduée, explique Thierry Poncet. Si des attaques récurrentes se produisent sur la même exploitation, alors que les mesures de protection ont déjà été déployées, et après un diagnostic d’exploitation par les services de la DDT, le tir d’effarouchement peut être autorisé, avec des munitions non létales. Si ça ne marche toujours pas, on passe au tir de défense. » Mais là encore, les retours d’expérience démontrent qu’il est extrêmement difficile de tuer un loup, même quand plusieurs dizaines de personnes sont mobilisées… Cette réunion de terrain a aussi été l’occasion d’expliquer le fonctionnement du dispositif d’indemnisation des éleveurs victimes d’attaques (voir encadré). « On part du principe qu’il s’agit bien d’un loup, ce qui permet d’enclencher les démarches d’indemnisation et de déconnecter cette partie de la question de l’identification du prédateur », a rassuré la préfète.
AC