Traité international / Les Rencontres autour des recherches sur les ruminants (3R), qui se sont déroulées par visioconférence début décembre, ont apporté un éclairage particulier sur le Mercosur. Quel que soit le cas de figure, les importations de viande sud-américaine devraient croître en volume.
Philippe Chotteau, chef du département économique de l’Institut de l’élevage (Idele) note d’emblée « l’asymétrie existante » entre le Mercosur, « un marché unique mais pas commun » et l’Union européenne. Bien que le solde global soit positif en termes d’échanges pour l’Union européenne (voir tableau), avec +14 milliards d’euros (Md€), il est terriblement déficitaire pour les produits agricoles et alimentaires : -20,12 Md€. Ce qui lui fait dire que l’échange “viande contre voiture de luxe allemande” n’est pas une vue de l’esprit.
Libéralisation totale des échanges
Malgré les droits de douane (3 €/kg), la viande sud-américaine reste encore compétitive sur le marché européen. « Le Mercosur fournit plus des ¾ des importations de viandes bovines de l’UE », a certifié Philippe Chotteau. Ce sont très majoritairement (98 % des échanges) des viandes désossées qui sont expédiées sur le vieux continent. C’est sur ces produits que le Mercosur est très offensif. D’ailleurs, l’accord qui a reçu un aval de principe de la Commission européenne le 29 juin 2019, prévoit l’ouverture de deux contingents tarifaires à droit de 7,5 % pour 99 millions de tonnes sur six ans : 54,45 Mt de viandes réfrigérées et 44,55 Mt de viandes congelées. Il s’ensuivrait une annulation du droit de douane de 20 % au sein du contingent Hilton Beef dès la mise en œuvre de ce traité international, annulation portant sur presque 61 Mt de viande pour les quatre pays membres du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). L’accord prévoit aussi la libéralisation totale des échanges de préparations cuites en quatre ans et des bovins vivants en dix ans. D’ailleurs le Brésil et l’Uruguay sont d’importants exportateurs de broutards sur le vieux continent, y compris en Turquie.
Aucun suivi des accords
L’application de cet accord ne serait pas neutre, ni économiquement, ni sanitairement, ni écologiquement. Plusieurs scénarios ont été établis. D’un point de vue économique, selon la London School of Economics, l’impact attendu du Mercosur serait compris dans une fourchette de 60 à 128 Mt supplémentaires. Le rapport Ambec rendu public le 18 septembre et auquel a participé Philippe Chotteau table sur une « projection plus raisonnable » comprise entre 19 Mt et 56 Mt pour la viande réfrigérée importée, de 32 Mt pour la viande congelée et de 3 à 10 Mt pour les préparations cuites. Sur le plan sanitaire, l’accord UE-Mercosur ne prévoit « aucune exigence sur le mode de production ». Or si l’utilisation de substances à effet hormonal et bétagoniste est interdite pour les exportations vers l’Union européenne, les engraissements en feedlots progressent, l’usage de protéines animales transformées reste légal. De plus les promoteurs de croissance antibiotiques sont autorisés au Brésil et la réglementation sur le bien-être animal est beaucoup moins exigeante dans le Mercosur, à l’exception de l’Uruguay. Et les contrôles sont déficients dans certains pays tant exportateurs qu’importateurs a souligné Philippe Chotteau. Pour couronner le tout, il n’existe, en Union européenne, aucun suivi des accords une fois qu’ils s’appliquent. Quant à l’impact sur la biodiversité, l’accord pourrait provoquer la déforestation de 700 000 ha de forêts natives supplémentaires, car c’est le seul moyen pour mettre des bovins en pâturage, là où les infrastructures sont inexistantes.
Non au Mercosur
Pour le moment, la signature de cet accord est bloquée. Il faut en effet l’unanimité des membres de l’UE pour qu’il entre en vigueur. Or les Pays-Bas et l’Autriche ont déjà rejeté cet accord. La France, par la voix du Premier ministre, Jean Castex et du ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie a fait savoir qu’« en l’état, les choses sont claires : c’est non au Mercosur. Sans améliorations sur la lutte contre la déforestation, la reconnaissance du travail de nos agriculteurs et le respect de nos normes, la France s’oppose et continuera à s’opposer au projet d’accord ». Reste que Business Europe, l’équivalent du Medef européen, a appelé le 26 novembre dernier à la ratification de l’accord et que la Commission européenne considère toujours que « c’est un accord équilibré, le meilleur qu’on ait pu souhaiter ».