CONTRE La COVID-19 / Trois lots de vaches de l’Alpa ont participé à une expérience inédite, au cours de laquelle elles ont révélé une grande capacité à générer des anticorps contre le coronavirus, après avoir reçu des injections de protéines. Le laboratoire Genclis, qui produit ses nouveaux immunogènes, a ainsi été en mesure de formuler des protocoles d’immunisation qui ne sont pas des vaccins, mais qui permettent de produire des antisérums. Les essais cliniques de ces antisérums pourraient se dérouler avant la fin de l’année. S’ils sont efficaces, ils devraient réduire les besoins de réanimation et donc la mortalité et les séquelles graves pour les malades atteints de la Covid-19.

Le directeur de la ferme du centre de formation de l’Alpa, Joris Erzen, se souviendra longtemps de l’appel téléphonique reçu dans la seconde quinzaine de mars, en pleine période de confinement. Son interlocuteur n’est autre que le technicien de Sodiaal, dépêché par Bonilait, la filiale spécialisée dans la poudre de lait du groupe coopératif. Le message est ciblé, le laboratoire de recherche médicale Genclis de Vandoeuvre recherche un troupeau proche de Nancy, pour mener un essai clinique sur le coronavirus, en lien avec les hôpitaux universitaires de Strasbourg. Le délai de réponse est court, car plusieurs options ont été envisagées, comme celle d’utiliser le cheptel d’un exploitant à la veille de la retraite. La réponse doit intervenir dans les trois heures. Il faut mesurer l’enjeu de l’expérimentation qui porterait sur quelques vaches. Même si l’indemnisation est prévue, le « risque équarrissage » n’est pas exclu. Joris Erzen consulte rapidement la présidente de l’Alpa, Lydie Saunier, le responsable de la commission « ferme », Jean-Philippe Thomassin et le directeur, Pascal Girard. La décision est unanime « on y va ».

Injection par la voie intrapéritonéale
Et l’homme-orchestre de la ferme va être placé au centre de la course contre la montre qui s’engage. Il entre immédiatement en contact avec le professeur Bernard Bihain, le patron de Genclis, qui va conduire personnellement les opérations. Il sélectionne 9 vaches laitières plutôt en fin de carrière. Il s’agit de leur pratiquer une injection par la voie intrapéritonéale (dans le péritoine) de protéines soigneusement sélectionnées par Genclis, dans le but de faire fabriquer des anticorps aux animaux. Les bovins sont exposés régulièrement à des coronavirus autres que la Covid-19, aux effets souvent délétères, notamment chez les veaux. Le vétérinaire sanitaire de la ferme, Jean-Pierre Bailly, est à la manœuvre, en présence de Bernard Bihain. Un des avantages du troupeau de l’Alpa pour la recherche est qu’il ne pratique aucune vaccination, en dehors de la prophylaxie obligatoire. L’autre intérêt est la présence du robot de traite qui peut détecter en continu les réactions des vaches.
Les injections de protéines seront répétées à trois reprises à la même dose, à une semaine d’intervalle. La plupart des animaux enregistrent une légère montée de température, phénomène normal lors d’une immunisation. Le risque de rejet est redouté à la deuxième intervention, mais aucun souci n’est relevé. Des prises de sang et d’échantillons de lait ont été pratiquées « à l’état 0 » avant le début de l’opération, puis tous les sept jours. Les vaches ont bien identifié le « corps étranger » et montrent une capacité à créer des défenses immunitaires. Genclis vérifie le dosage en anticorps qui s’avère « exceptionnel » à la fois dans le sang et dans le lait, à l’issue de la troisième injection. Le 7 avril, ces anticorps sont qualifiés « d’hyper-affins », c’est-à-dire très présents en quantité, toniques et actifs.

Eviter toute controverse
Très satisfait de ces résultats, Bernard Bihain songe à fabriquer des sérums. Il faut prélever pour cela 2 litres de sang et 10 litres de lait sur les deux vaches les plus remarquables du lot sélectionné. Si le travail sanguin est aisé, Genclis butte sur la matière grasse du lait, gênante car ne contenant pas d’anticorps. Il faut écrémer pour isoler le lactosérum porteur des précieux anticorps. Mais le laboratoire ne dispose pas de l’équipement indispensable à ce traitement du lait. Il fera alors appel au groupe Ermitage, rompu à l’exercice dans le périmètre de sa tour de séchage. Le fromager coopératif vosgien ira jusqu’à installer un mini-labo, dans les locaux de Genclis.
Bernard Bihain est persuadé qu’il est sur la bonne voie, mais il veut en acquérir la certitude définitive et éviter toute controverse. Sa quête est celle d’une sérothérapie ciblant les malades graves liés à la Covid-19. « Les 85 % de patients qui récupèrent en quatre jours, n’ont pas besoin de nous. Nous visons les patients âgés, hospitalisés et victimes de comorbidité » affirme le chercheur. Il ne croit pas à la vaccination prophylactique de masse, telle que l’envisagent les grandes firmes du médicament. Il en redoute au contraire des effets dramatiques, à la lumière de ce qui s’est passé pour la vaccination contre la dengue.
Le 2 mai, le comité scientifique de Genclis lui demande de poursuivre l’expérimentation avec 10 nouvelles vaches, en utilisant un protocole différent. Les élus de l’Alpa donnent leur feu vert. 19 VL sur un effectif de 71 sont donc entrées dans l’étude. Le premier groupe est placé « en lait off », le but est d’observer pendant combien de temps les anticorps demeureront.

« Fusil puissant »
Les injections sur le second groupe se déroulent les 14, 21 et 28 mai. Bernard Bihain fait effectuer des « neutralisations virales » au CHU de Strasbourg. Les résultats sont impressionnants. Les anticorps produits par les bovins capables de détruire la Covid-19 sont cent fois plus puissants que ceux générés par les humains ayant contracté la maladie. Le chercheur est désormais certain d’avoir découvert un antidote capable de neutraliser les effets du poison.
Un mois après la dernière injection, le premier lot de vaches dispose toujours autant d’anticorps. Parmi les laitières retenues pour l’expérience, une a vêlé. « Nous avons conservé le colostrum » raconte Joris Erzen. Depuis le 28 mai, Genclis a testé le vaccin sur une population de souris, à laquelle la covid-19 a été inoculée. « Le vaccin détruit le virus, affirme Bernard Bihain. Pour l’administrer à des patients, nous disposons d’un fusil puissant, mais il nous faut régler la mire pour déterminer la quantité à administrer à la première injection ; car si le seuil est dépassé, il peut faire plus de mal que de bien ».
Pour affiner cette recherche, à partir du 7 juillet, un nouvel essai a concerné quatre vaches, auxquelles des doses différentes du mélange protéinique ont été injectées. Pour déterminer la quantité d’anticorps produite et sur quelle durée de temps. A la mi-septembre, Bernard Bihain envisageait de renouveler les prélèvements à l’Alpa, pour sécuriser encore un peu plus le procédé voué à être utilisé chez l’homme. Il place la rigueur scientifique au-dessus de tout. Le « professeur » ne tarit pas d’éloges sur le site de l’Alpa qui constitue, selon lui « la structure adhoc, dans un environnement fermier… la vraie vie. Notre expérience commune devrait être étendue et renouvelée sur d’autres maladies » appelle-t-il de ses vœux.

Conserver le sens des priorités
On sait aujourd’hui, qu’il ne sera pas réglementairement possible d’utiliser des produits d’origine bovine en thérapeutique humaine, mais les retombées de cette expérimentation sont d’importance capitale, explique Bernard Bihain. « Les vaches sont, comme l’homme, confrontées aux coronaviroses. L’induction d’anticorps exclusivement neutralisant dans ce contexte valide notre choix d’immunogène, sa sécurité, les doses efficaces et le calendrier des injections. Mais cela n’est pas le plus important ; sans les vaches de l’Alpa, nous n’aurions pas compris les mécanismes qui protègent la très grande majorité des formes sévères de la Covid-19. Nous avons aussi appris que les anticorps neutralisants le virus ne durent pas en absence d’immunisations répétées. Ça, c’est pour la mauvaise nouvelle, la bonne nouvelle est que leurs précurseurs, eux, perdurent et il devrait être possible de les augmenter. Il convient de conserver le sens des priorités qui sont de prévenir et traiter les formes graves en réduisant les besoins de réanimation, prévient le gérant de Genclis. Les progrès réalisés par les médecins et les anesthésistes réanimateurs en moins de six mois sont spectaculaires. Même si pas mal de molécules se sont révélées décevantes, les corticoïdes et les anticoagulants ont réduit la mortalité. Nous avons attendu 15 ans pour voir ce type d’effet dans le cadre du HIV, le virus responsable du SIDA », conclut Bernard Bihain. n

Jean-Luc Masson

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