Filière locale / Une véritable filière locale voit le jour, avec la coordination de producteurs d’orge de brasserie et de brasseurs bio de Franche-Comté. On pourra boire la bière de Franche-Comté dès janvier 2018, et l’orge qui servira à la confectionner, récoltée localement, vient d’être maltée le 13 décembre après un long voyage fluvial.
Les microbrasseries fleurissent un peu partout, et avec elles l’attrait du consommateur pour ces bières de caractère, plus corsées et goûtues que celles auxquelles on nous avait habitués. Ce retour aux sources du goût est aussi un retour au terroir, et c’est assez naturellement qu’un certain nombre de brasseurs franc-comtois ont lancé l’idée d’un malt bio 100 % franc-comtois.
Premiers échecs, premiers succès
Les premiers essais remontent au début de la décennie, avec les premiers semis d’orge brassicole chez Baptiste Bernard à Chargey-lès-Gray, dont le frère Mathieu brasse la fameuse Chargeoise, à la brasserie de la Rente Rouge. Divers problèmes de calibrage, puis de mycotoxines ont eu raison de la tentative. Plus tard, c’est sur l’impulsion de la Brasserie Redoutey à Lavigney qu’un groupe de réflexion s’est formé autour de la construction d’une petite malterie. Une étude de pré-faisabilité a finalement été réalisée fin 2015 par Anne Huguin, et le projet n’a pas été poursuivi. Le modèle économique n’est pas viable à l’échelle de la seule Franche-Comté. Mais faute de malterie, le projet de bière 100 % locale n’est pas enterré pour autant. Dans le Jura, un agriculteur sème 13 ha d’orge d’hiver en 2015. La météo ne permet malheureusement pas la valorisation en brassicole. Interbio FC prend finalement en charge l’animation générale du projet, et la coordination entre brasseurs et agriculteurs, tandis que la partie agronomique est confiée à la chambre d’agriculture de Haute-Saône. C’est Mickaël Grevillot, animateur bio, qui va hériter du dossier. En 2016, 9 agriculteurs bio décident donc de semer la même variété (Etincel, escourgeon) pour arriver à la taille critique que les malteurs peuvent travailler. Résultat : 190 t d’orge de qualité brassicole récoltée en 2017. Stockée pour moitié chez Hubert Girardot à Auvet, pour moitié à Cugney chez Mathieu Constantin, l’orge n’attendait plus que les résultats d’analyse : parfait.
Le choix de la voie fluviale
Restait à transformer cette orge en malt. C’est en Belgique, entre Mons et Tournai (près de Valenciennes) que cette opération s’est déroulée, à la Malterie du Château. Pour y amener la production franc-comtoise, c’est la voie des eaux qui a été choisie. « A peine plus cher, à peu de chose près, que par la route ». Et bien dans l’esprit de l’aventure : un peu « slow-food », avec 11 jours de voyage en péniche. Le chargement se fait à Renève près de Gray. De mémoire de VNF (voies navigables de France), on n’avait pas vu cela depuis bien longtemps. « Sur la petite Saône, témoigne le chef de la subdivision de Port-sur-Saône chez VNF Philippe Menegain, on voit passer des chargements, mais c’est très rare de voir charger une marchandise en Haute-Saône. » Le voyage de 550 km passe par le Canal entre Champagne et Bourgogne, le canal latéral à l’Aisne, le canal latéral de l’Oise, le Canal du Nord, l’Escault… En tout 186 écluses à traverser en gabarit Freycinet (les petits standards de péniche transportant jusqu’à 250 t). L’orge a été déchargée le 12 décembre, et son maltage se fera dans les jours qui suivent. Le malt, conditionné en sacs, redescendra probablement vers la mi-janvier par la route vers les différents points de livraison (22 brasseurs se sont engagés, 4 points de livraison sont prévus).
Une première à renouveler
L’affaire aura donc été rondement menée et la filière progressivement structurée. Il est donc certain que l’expérience se renouvellera l’an prochain. Les parcelles sont en tout cas de nouveau resemées (toujours avec la variété Etincel), et les leçons prises des essais variétaux mis en place par la chambre d’agriculture (11 variétés testées, tirées de la « liste des variétés préférées des malteurs et brasseurs de France »). « Toutes des variétés d’orge d’hiver », indique Mickaël Grevillot, compte tenu des échecs passés sur les variétés de printemps, trop sujettes au coup de chaud en mai ou juin. Pour patienter, on pourra déguster la bière 100 % franc-comtoise dès cet hiver, et probablement lors de la 13e fête de la bière à Poligny le 17 mars 2018, jour de la Saint Patrick ! Les 16 brasseurs qui confectionnent la fameuse « Commune » sont en effet tous impliqués dans le projet et auront donc reçu d’ici là leur malt local.
LD