Agriculture de conservation / Avec une diminution des pratiques de travail du sol, on augmente le taux de matière organique du sol… et avec elle le taux d’azote ! Pour arriver au « 4 pour mille » promu par le programme ministériel, il va donc falloir permettre aux agriculteurs d’épandre plus d’azote qu’ils n’en exportent par les cultures.
La production de protéine est une des clefs de la rentabilité pour l’agriculteur français. C’est en quelques mots ce qu’Alain Caekaert, responsable de la commercialisation grain chez la coopérative Vivescia, est venu expliquer à Besançon le 14 septembre dernier.
Engagée de longue date dans des démarches de semis direct et d’agriculture de conservation, Vivescia (et sa filiale Sepac) était naturellement représentée à la rencontre régionale organisée par l’IAD (Institut de l’Agriculture Durable) autour de la “protéine du blé”. Reste que les leviers pour augmenter les taux de protéine sont de plus en plus difficiles à trouver.
Stocker du carbone, c’est stocker de l’azote
Une des solutions évidente est d’augmenter la disponibilité de l’azote pour les plantes. Mais les apports d’azote ne sont pas toujours bien valorisés. S’ils sont amenés trop tôt, ils n’ont pas d’impact et ont le temps d’être lessivés. S’ils sont amenés au bon moment mais que les conditions ne le rendent pas disponibles (pas de pluie après le 3ème ou le 4ème apport), ils sont tout aussi inopérants.
« Le seul couloir que nous avons, explique Christian Rousseau, agriculteur dans la Marne et administrateur de l’IAD, c’est d’augmenter la matière organique du sol. » En constituant cette réserve, on façonne un « volant de fertilité », une réserve nutritive déjà en place dans le sol. Les travaux de l’IAD en la matière ont d’ailleurs précédé ceux du Gouvernement et l’adoption du plan « 4 pour 1000 » visant à augmenter de 0,4 % par an la matière organique (MO) des sols. « Mais, continue l’agriculteur, stocker du carbone, c’est aussi stocker de l’azote ! » La matière organique du sol est en effet constituée pour environ 10 % d’azote (voir ci-dessous). Si l’on a pour ambition de séquestrer du carbone dans les sols, il va donc falloir accepter d’y séquestrer de l’azote.
Inclure le sol dans les bilans
Et les quantités impliquées sont importantes. En effet, si la séquestration de carbone dans le sol équivaut à 700 kg/ha/an (chiffres des adhérents IAD, au-dessus de l’objectif ministériel des 4 pour 1 000), alors l’ammonification récupère 70 unités de nitrates, qui sont soustraits du lessivage mais qui manquent également pour la croissance des cultures. Pour les plus performants qui stockent presque 900 kg de carbone par hectare, le besoin du sol est de 90 U d’azote par an ! Ainsi, entre une agriculture qui perd de la MO dans le sol, par exemple 700 kg de carbone, et une autre qui en gagne la même quantité, il pourrait y avoir jusqu’à 150 U d’azote par ha de différence dans le sol, lié à la séquestration ou à la minéralisation de l’humus. « Si Stéphane Le Foll veut vraiment que l’on stocke du carbone, il va falloir ouvrir les vannes de la directive nitrates », conclut Christian Rousseau. En limitant la fertilisation azotée, si l’on souhaite maintenir les objectifs de qualité et de rendement à des niveaux acceptables, on détruit de la matière organique : l’exemple danois est éloquent à ce sujet.
Pour conserver aux sols leur potentiel productif, il faudrait donc inclure ce besoin supplémentaire dans le bilan azoté : tenir compte de l’augmentation du sol en matière organique. Une proposition intéressante qu’il va falloir expliquer patiemment et avec pédagogie aux défenseurs des directives nitrates successives. D’autant que d’autres actions pourraient être proposées dans le même objectif comme l’augmentation des amendements organiques, l’implantation généralisée des légumineuses dans les rotations, ou plus iconoclaste l’autorisation des apports d’azote en été sur les couverts, chez les agriculteurs stockeurs de carbone, bien entendu.
LD