Grande distribution / Agriculture de proximité et grande distribution irréconciliables ? Peut-être pas. C’est en tout cas l’avis du gérant du Carrefour Contact de Ronchamp, qui a modifié depuis cet été son approvisionnement pour passer un contrat local avec VSV, et se fournir en viande bovine chez des éleveurs haut-saônois.
Bien que l’actualité ait focalisé l’attention des citoyens sur d’autres sujets, les manifestations des éleveurs l’été dernier n’ont pas fini d’avoir des répercussions. À Ronchamp, au Carrefour Contact, la viande de porc était déjà locale en majorité. À présent, c’est la viande bovine qui est haut-saônoise, depuis la signature d’un contrat de fourniture avec Vosges Saônoises Viandes (VSV), et l’embauche d’un boucher pour valoriser les carcasses.
Pas sans un vrai boucher
Pour le gérant du magasin Michel Gusmini, cette évolution c’est faite naturellement, moins sur demande des clients que par un choix assumé. Pendant les manifestations cet été, un affichage est apparu sur la vitrine indiquant une viande bovine française. Française, mais pas haut-saônoise, lui fera remarquer Pierric Tarin, de la chambre d’agriculture. Qu’à cela ne tienne, le gérant qui est également fils d’agriculteurs, relocalise. Il résilie son contrat avec Bigard, pour en signer un avec VSV, avec une origine haut-saônoise demandée. « Pour arriver à faire cela, tempère Michel Gusmini, il faut absolument avoir des bouchers professionnels. » Quand on travaille de la viande, « il ne suffit pas d’ouvrir des PAD » (prêt à découper) et de mettre les morceaux en étal. Le magasin embauchera donc Yves, boucher-charcutier, qui lui aussi approuve la démarche. « On ne perd pas en réactivité, assure-t-il. Pour le porc, on travaille avec Bresson, il peut nous livrer le jour pour le lendemain. » Seule inquiétude : la qualité sera-t-elle constante ? Les gros volumes travaillés par les intermédiaires nationaux permettent de lisser la qualité ; qui vivra verra.
Local ou pas ? Au choix du gérant
Contrairement à l’argument souvent entendu pour expliquer l’absence de local en rayon, les gérants des grandes enseignes de distribution ne sont donc pas obligés de se fournir dans leurs centrales d’achat, notamment en viandes, produits laitiers, produits frais. Tout est à l’initiative du patron local. « Bien-sûr il y a des directions régionales qui poussent à l’achat par les centrales » ; et des carottes financières (ristournes en fin d’année sur un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé avec la centrale). Mais tout est question de volonté. « Les épices [pour la charcuterie ndlr] je les achète également en local, avec un fournisseur alsacien », continue Yves. Aucune excuse donc pour ne pas acheter local. Plus cher le local ? Non, ou du moins à des niveaux insensibles pour le consommateur. Dans les circuits longs, les économies d’échelle permises sont avalées par la multiplication des intermédiaires. Il faut par contre le choisir, et le soutenir dans la durée, même quand l’attention des consommateurs ne se portera plus sur l’origine des produits.
D’autres enseignes d’ailleurs font ce choix (on se souvient du bœuf de Pâques à l’Intermarché de la Vaugine), qui peut devenir un argument marketing ; mais au fond, pourquoi pas, tant que ce n’est pas un habillage de façade. D’ailleurs l’initiative du Carrefour de Ronchamp inquiète la concurrence. À peine la provenance haut-saônoise était-elle affichée dans le magasin, que la répression des fraudes venait déjà en inspection. « Sur dénonciation d’un concurrent, probablement ». Voilà une saine concurrence, à celui qui fera le plus local, plutôt qu’à celui qui fera le prix le plus bas.
La suite ? Mettre en valeur et généraliser
« On ne gagne pas de sous à aller en direct chez un paysan, mais on ne perd rien », constate Michel Gusmini. Le modèle est donc généralisable à d’autres produits. Vin, fromages, les étals s’enrichissent de noms aux sonorités locales. Reste à imaginer d’autres choses : « Qu’est-ce qui nous empêche par exemple de mettre une boîte à lait devant le magasin ? » illustre le gérant. Un moyen déjà utilisé dans de nombreux endroits pour écouler du lait de ferme à prix avantageux, et assurer une meilleure traçabilité au consommateur. Pour les légumes de saison, pour les fruits, des partenariats multiples peuvent également être engagés. Le travail qui reste à faire, c’est sans doute de développer les outils de communication, la « PLV » (publicité sur le lieu de vente). À ce jour, seul le consommateur attentif voit que la viande est d’origine locale. Dans les barquettes de pré-découpé que prépare le boucher, on lit « Origine France », au lieu de « Origine Haute-Saône » : la faute à un logiciel trop généraliste. Le magasin dispose du logo « Bœuf Comtois », développé par Interbev, et de timides autocollants « né, élevé, abattu en Haute-Saône » fournis par VSV. Mais du travail reste à faire pour faire adhérer le consommateur.
Des initiatives complémentaires
Dans la bataille que mènent les agriculteurs et leurs représentants pour favoriser l’agriculture de proximité, le développement de la vente directe, des Amap ou des drive-fermiers sont d’excellentes initiatives. Mais la profession agricole ne peut pas faire l’impasse sur la grande distribution qui représente l’écrasante majorité des achats alimentaires en France. Ces deux démarches sont complémentaires. L’introduction d’une partie d’approvisionnement local dans les GMS aura le triple avantage de rééquilibrer les rapports de force dans la filière (on multiplie le nombre d’interlocuteurs), de redonner du sens à l’achat alimentaire (reconnexion entre le consommateur et le producteur), et bien-sûr de dynamiser l’économie locale. Pour faire court : Quel intérêt de faire abattre une vache fougerollaise chez Bigard à Montbard, avant de la ramener à Ronchamp, quand elle peut être abattue à Luxeuil ? Au moment de la COP 21, c’est d’une logique implacable.
LD