Boues / L’enquête d’utilité publique sur l’épandage des boues de la station d’épuration de Besançon a provoqué des réactions vives chez certains élus, la plupart du temps par un manque de connaissance flagrant des tenants et aboutissants du sujet. Visite commentée de la station de Port Douvot, et explication sur l’origine des boues.
L’enquête d’utilité publique soumise au cours du mois de novembre par la ville de Besançon sur le devenir de ses boues de station d’épuration a fait beaucoup parler d’elle dans le département. Un certain nombre d’élus locaux ont même conçu une pétition en plaidant pour une révision du plan chez les plus modérés, une interdiction des épandages chez les plus vindicatifs. Pourtant cette pratique de recyclage des boues (seule solution autorisée avec le compostage) est très surveillée. Encadrés par une réglementation stricte, et suivis par des analyses régulières, les processus d’obtention de ces boues sont bien connus et les opérateurs disposent d’un recul important.
Le cheminement des eaux usées
À la station d’épuration de Port Douvot en aval de Besançon, c’est Jeannine Viennet qui est responsable de la maîtrise des risques et des impacts. « La première station de Besançon a été construite en 1969, avec une première tranche de 40 000 équivalents habitants », explique-t-elle. Autant dire qu’à l’époque la station produisait moins de boues, puisque la plupart des eaux usées de la ville finissaient directement dans le Doubs. En 1978 puis en 1992, deux nouvelles tranches de travaux viendront compléter l’installation pour arriver aujourd’hui à une capacité de traitement de
200 000 équivalents habitants.
Dans la ville et les communes environnantes, c’est d’abord tout un réseau d’égouts et de canaux qui irriguent la ville. « On estime leur longueur à environ 300 km au total, dont un tiers environ est visitable ». Situés dans les collecteurs principaux, des équipements techniques, gérés par télétransmission, contribuent au fonctionnement du système d’assainissement (dessableurs, dégrilleurs, vannes, postes de relèvement…). Vers Mazagran, une installation permet par exemple aux eaux usées de la boucle du Doubs de traverser la rivière pour venir rejoindre sa rive droite, vers la station d’épuration.
La fermentation des boues
Les eaux usées, une fois débarrassées par dégrillage des objets les plus gros, vont être dessablées, dégraissées, puis décantées. Les boues épaissies (les plus fermentescibles) seront alors envoyées dans 3 digesteurs. Soumises à une fermentation anaérobie pendant 25 jours, les boues entrent dans le digesteur à 6,5 % de siccité (teneur en matière sèche) et en ressortent à 3,5 %. Le reste ? Principalement du CO2 et du CH4, le méthane : ce biogaz est valorisé en co-génération (production d’électricité) exactement sur le même principe qu’une installation de méthanisation agricole. Le premier intérêt de la digestion est donc de diminuer le volume des boues produites. L’autre intérêt est d’améliorer la qualité des effluents : augmentation du pH, élimination de 99 % des germes pathogènes. En bonus, le méthane qui est un gaz à effet de serre potentiellement 25 fois plus impactant que le CO2, n’est pas libéré dans l’atmosphère. Les boues issues des digesteurs sont ensuite envoyées dans l’atelier de déshydratation, où elles sont épaissies grâce à l’injection d’un polymère, et centrifugées. On obtient alors une pâte inodore (la fermentation anaérobie ne dégage pas d’odeur désagréable, contrairement à ce qui se passe par la suite au contact de l’air) de la consistance d’un compost bien mûr (30 % de siccité environ).
Les arguments des « anti »
C’est ce produit qui est ensuite expédié dans les exploitations concernées par le plan d’épandage (2 700 ha sur 62 communes en Haute-Saône). Les 8 000 t annuelles produites par la station sont expédiées, dès que les conditions agronomiques et météorologiques le permettent, dans les exploitations pour y être épandues par le prestataire. C’est là que les boues s’approchent des communes rurales et que les interrogations se posent chez les profanes. « Beaucoup de réticences tournent autour des odeurs, constate Jeannine Viennet. Nous rencontrons également un nombre important de suspicions de fraude. On nous accuse de cacher des choses. » Parfois aussi, c’est un refus de voir arriver les déchets « des villes » ou de devoir traiter en Haute-Saône les effluents du Doubs. Sur ces deux derniers points, c’est l’agronomie qui doit revenir au centre des débats. Les effluents des villes, comme les effluents d’élevage, concernent principalement le cycle de la matière organique, qui se termine logiquement où tout a commencé : dans les sols agricoles. Par ailleurs, le choix des parcelles pour l’épandage repose sur des capacités d’absorption des différents éléments contenus dans les boues. « Souvent, fait remarquer Martin Truchot, expert à la MESE 70 (mission d’expertise et de suivi des épandages), c’est l’azote qui est limitant. » D’où l’intérêt de choisir des parcelles ayant une forte capacité d’absorption de l’azote, et un chargement à l’hectare faible. Ce sont donc en priorité les exploitations céréalières qui sont ciblées, avec des têtes de rotation qui valoriseront bien l’azote. Enfin, refuser les effluents des citadins, c’est aussi oublier les nombreuses communes rurales équipées de décanteurs, et les nombreux assainissements non collectifs dont les matières de vidange terminent également leur course dans les champs en passant par la station de Besançon.
Des teneurs particulièrement constantes
Quoi qu’il en soit, les organismes qui gèrent le plan d’épandage (la SEDE pour ce dossier) ou le contrôlent (MESE 70 et chambre d’agriculture, Dreal, DDT) veillent de près à la conformité des épandages. Ils appliquent par exemple à tout le département les limites calculées pour la zone vulnérable. Ailleurs, des marges de manœuvre similaires sont prises pour les ETM (éléments en traces métalliques) : les tonnages autorisés par le plan sont bien en deçà de ce que la réglementation prévoit. Même en appliquant ces tonnages tous les ans (ce qui est loin d’être le cas puisque les épandages reviennent sur la même parcelle au pire tous les 4 ans), les niveaux cumulés en ETM resteraient conformes à l’arrêté de 1998 qui fait référence.
Quant au contenu même des boues, leur composition est connue avec une grande précision. « Les analyses sont effectuées par tranche de 250 tonnes. Comme nous produisons 600 t de boues par mois, chaque lot est en fait analysé 2 fois. » Les marges de manœuvre en cas de dérapage sont donc importantes, d’autant que la station dispose de 4 mois de capacité de stockage. Pour couronner le tout, les boues de Besançon présentent des taux largement en dessous des seuils réglementaires, et particulièrement constants dans le temps. Bref, si l’on peut déplorer l’augmentation du tonnage des déchets que notre société produit, l’agriculture est encore une fois une partie de la solution, et en aucun cas du problème.
LD