Mission Sokodé / Confronté à des incendies menaçant de réduire en cendres des mois de travail de plantations, et de compromettre prématurément l’avenir d’un projet d’arboriculture tropicale conçu
comme “durable”, Louis de Dinechin s’interroge sur les causes structurelles de cette fatalité.

“L’histoire doit-elle se répéter ?”, questionne notre ancien collègue Louis de Dinechin dans son dernier rapport de mission au Togo, qui nous est parvenu le mois dernier. Au cours du mois de décembre, plusieurs incendies ont en effet endommagé les plantations réalisées par l’ingénieur agronome… malgré les précautions déployées !

Pare-feu et sarclage
« On m’avait prévenu, et j’avais vu les nombreux dégâts du feu il y a un an. Dès la fin de la saison des pluies en septembre, nous avons mené de front la récolte de nos parcelles (soja, voandzou, mil) et la mise en place des pares-feux. Avec mon collègue et ami Moïse, la tâche était vaste, mais nous avons réussi à ébaucher quelques kilomètres de pare-feu. » En pratique, il s’agit-là de couper la végétation, sur 10 m, de sarcler, et si le temps le permet de brûler tôt le matin les résidus, car après 7 h 30 le risque d’incendie est trop fort. « Nous avons ainsi fait tout le tour du terrain (1 700 m), ainsi que le périmètre des anacardiers, et celui des deux parcelles de tecks. C’est assez physique, surtout que plus le temps passe, plus la terre est dure et le sarclage pénible. Dans la régénération naturelle dirigée, le risque était trop grand mais la tâche immense. J’ai donc fait sarcler autour des plants seulement (sur 1 mètre de rayon), et faucher (sur 2 m). Comme il n’y a que quelques centaines d’arbres sur 1 hectare, c’est encore gérable. »
Dans un premier temps, ces précautions ont semblé suffisantes. Un premier départ de feu le 2 décembre, au nord du terrain, épargne les précieux tecks… « Quand je suis arrivé le lendemain matin, le pare-feu avait vaillamment rempli son office : pas de flamme chez nous, nos tecks sont saufs ! Il faut vous dire que quand ça brûle, c’est inarrêtable : des flammes de deux ou trois mètres de haut, une chaleur infernale. Et évidemment, il n’y a pas de pompiers à Sokodé (du moins ils ne s’occupent pas des feux, et ils n’ont pas de camions). »

Jalousie et malveillance
Nouvelle alerte le 17 décembre, à la nuit à peine tombée, cette fois au Sud, du côté des “arbres forestiers”. « C’est la “régénération naturelle dirigée” cette zone que nous avons nettoyée et plantée d’essences forestières nobles, en collaboration avec le service de l’environnement. C’est aussi juste à côté des anacardiers, des eucalyptus… Ça brûle donc. À cette heure, rien à faire, seulement espérer que le feu s’arrête de lui-même. Autant vous dire que la nuit a été longue. »
Le 18 décembre à l’aube, Louis dresse un rapide inventaire. « 1 ha environ a brûlé, principalement la régénération naturelle. Un peu de brousse. Quelques anacardiers. Au fur et à mesure que le jour se lève, je mesure l’ampleur des pertes, et surtout je constate avec amertume que le feu n’a pas pris chez le voisin : il y a deux départs de feu, à l’intérieur de notre terrain. » Un incendie volontaire donc. « Nous sommes comme ça, nous les Africains, c’est la jalousie ! », explique de M. Kouro, le chef quartier de Kparioh, qui réunit sa population. « Car ce n’est pas un Ghanéen qui a fait ça, ce n’est pas un Sénégalais : c’est un Togolais. Et un Togolais de Kparioh. » Les incendies criminels sont-ils une fatalité ? « Comme disait Bossuet “Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes”, analyse Louis : or les causes sont connues. C’est, comme je vous l’avais rapidement exposé précédemment, d’abord les cultivateurs qui “font du propre” (écobuage), ensuite les Peuls qui veulent accélérer la repousse… et enfin les chasseurs. Souvent des chasseurs de 5 ou 6 ans, qui ensuite viennent débusquer des souris, et qui pour le plaisir d’une petite brochette de rongeur vont ravager des centaines d’hectares de forêt ou de plantations ! »

Passivité et indifférence
« Et pire que tout, il y a la passivité et l’indifférence. », déplore notre ami. Ainsi le 26 décembre, en plein sarclage autour des tecks, avec quelques ouvriers, alerté par un crépitement Louis se précipite chez le voisin, chez qui ça brûle, et réussit à convaincre Azoti, un métayer qu’il connaît, de l’aider, ne serait-ce que pour protéger sa propre maison… « Le feu est rapidement circonscrit (plus par manque de carburant que par nos pauvres efforts, je dois l’avouer). » Mais Azoti hésite à l’accompagner dans le hameau pour traquer le coupable, arguant que ça ne le regarde pas. « J’insiste, car ces voisins-là ne parlent que kotokoli, et j’ai besoin d’un interprète et il finit par accepter. Au hameau je m’adresse à la vieille, encore tout plein de colère car à quelques mètres près, le feu rentrait dans les anacardiers, et lui demande qui a démarré le feu. Une petite voix répond… “C’est moi…”, une gamine, 11-12 ans peut-être, un enfant dans le dos, deux autres jouant dans le sable ; elle prépare le repas. En dehors de la vieille, aucun adulte. La colère retombe, c’est plutôt le dépit qui m’envahit. Je lui demande si on lui parle des feux à l’école… » Réponse de l’intéressée : « oui, il faut brûler les immondices. Plus tard, le gardien m’expliquera que personne ne se risque à chercher les coupables des incendies. On risque des représailles si on ne s’occupe pas de ses affaires. »

AC, d’après le 5e rapport de mission
de Louis et Sophie de Dinechin.

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