CAISSE RÉGIONALE DU CRÉDIT AGRICOLE DE FRANCHE-COMTÉ / Christine Grillet, présidente de la Caisse régionale du Crédit agricole de Franche-Comté et Philippe Marmier, directeur Engagement, Recouvrement et Agriculture répondent à nos questions sur l’actualité agricole et économique régionale.

Les mesures de confinement décrétées par le gouvernement pour endiguer la propagation du coronavirus impactent l’activité agricole (perte de débouchés pour les filières lait, viande, vin, maraîchage…, mais aussi problèmes d’approvisionnement, de personnel dans les IAA de transformation, etc.) En tant que banque régionale, leader dans le monde agricole, et au bout de quatre semaines de confinement, quel est votre « diagnostic » de la situation franc-comtoise ? Quel état des lieux pouvez-vous dresser à ce jour ?
Christine Grillet :
Après une première phase au cours de laquelle les mesures de confinement ont eu un impact direct sur un certain nombre d’entreprises qui n’ont pas pu poursuivre leur activité – artisans, restaurateurs, entrepreneurs… – et qui ont vu brutalement passer leur chiffre d’affaires à zéro du jour au lendemain, nous sommes désormais confrontés à des conséquences plus indirectes, une deuxième vague en quelque sorte, plus en lien avec ce qu’on pourrait regrouper sous le thème “organisationnel“ : les ruptures des chaînes logistiques, les problèmes de personnels manquants soit atteints du virus, soit vulnérables, ou encore avec une astreinte pour garder les enfants et faire l’école à domicile…
Philippe Marmier : Il faut d’ailleurs saluer ici l’implication totale des personnels du Crédit agricole, qui ont su s’organiser en un temps record pour maintenir la continuité des services bancaires, en télétravail et en maintenant une grande partie des agences ouvertes en horaires aménagés, avec des distributeurs qui n’ont pas cessé d’être alimentés, des téléconférences… Les demandes de crédits en général, dont les crédits à l’agriculture, (Agilor par exemple) issus des ventes de matériels par les concessionnaires, ont toujours été assurées. Nous avons organisé une rotation des équipes en complément de nos plateformes téléphoniques, afin d’éviter toute rupture des services bancaires.

Les mesures de confinement vont être prolongées encore plusieurs semaines… quels outils spécifiques mettez-vous en place pour accompagner vos clients et leur permettre de passer ce cap difficile ?
Philippe Marmier :
Comme première priorité, nous avons répondu aux attentes de nos clients et de l’Etat avec les pauses-crédits de nature à desserrer la contrainte des charges de remboursement. Ensuite, nous nous sommes engagés massivement à la distribution des Prêts Garantis par l’Etat à hauteur de 90% (PGE) face à cette crise qui est complètement inédite. Cette interruption brutale d’activité est une situation sans précédent dans l’histoire de l’économie mondiale : c’est la première fois que du jour au lendemain l’économie mondiale rentre dans une telle phase de ralentissement ! En 15 jours nous avons déjà à l’échelle de la Franche-Comté réalisé 5 000 pausescrédit. Plus spécifiquement, au niveau du marché de l’agriculture, les pauses demandées se chiffraient la semaine dernière à plus d’une centaine de clients, 62 dans le département du Jura, 21 dans le Doubs et 22 en Haute-Saône et dans le Territoire de Belfort. Au niveau des PGE, à la même date, nous enregistrions 76 millions d’euros de demandes, toute clientèle confondue (entreprises, commerçants, artisans et agriculteurs). Ces PGE constituent actuellement 80% de notre activité crédit sur la clientèle professionnelle : nous sommes concentrés sur la priorité de sauvegarde des activités du tissu entrepreneurial au sens large, en vue de la reprise

Justement, dans le Jura, l’annulation des foires au vin de printemps cause des difficultés de paiement aux viticulteurs, est-ce que votre banque a bien pris la dimension de leur problème et entend-elle mener une démarche commerciale accentuée à leur égard ?
PM :
Une forte proportion de PGE accordés sur le département du Jura au niveau agricole démontre cette prise en compte, qui correspond aux réalités de terrain, à une agriculture davantage tournée vers la vente directe, la viticulture, le maraîchage, le tourisme rural, les centres équestres… plus touchés que d’autres activités agricoles de production. La viticulture française et européenne dans son ensemble fait l’objet d’une crise des excédents pour compenser la chute des ventes. Certaines exploitations du vignoble jurassien avaient déjà été fragilisées par une succession d’années difficiles à cause de la météorologie. D’une manière générale, la crise évolue et désormais certaines industries agroalimentaires connaissent des difficultés, faute de disponibilités de personnel, de consommables, et de débouchés. En lait standard, par exemple, 40% des volumes français sont exportés… On sait aussi que l’abattage bovin tourne à 60% de sa capacité. Mais globalement, l’économie agricole continue à fonctionner, le lait est ramassé, transformé, consommé. Le principal problème, c’est l’absence de visibilité, puisqu’on a du mal à savoir jusqu’à quand cette situation de fragilisation des marchés peut durer. Avec l’annonce du début de la levée partielle du confinement nous allons néanmoins accompagner les entreprises dans la reprise d’activité qui suivra. Reste que pour l’instant les excédents de production, la décapitalisation du cheptel laitier, entraînent les prix à la baisse, ce qui va avoir des conséquences sur les marges des ateliers lait et viande, et probablement sur le revenu des exploitations agricoles. Nous sommes particulièrement attentifs à la situation des exploitations les plus sensibles compte tenu d’un endettement récent, ainsi qu’aux jeunes agriculteurs récemment installés. Espérons que le risque de sécheresse printanière ne fasse pas peser de nouvelles inquiétudes vis-à-vis des productions végétales et de l’affouragement…

L’absence de visibilité provoque des mouvements spéculatifs importants sur les matières premières, notamment agricoles (blé, soja, colza…) ce qui perturbe fortement l’activité des coopératives et pénalise les agriculteurs… N’est-ce pas le moment opportun pour proposer la taxation des mouvements de capitaux, afin d’alimenter l’économie réelle et les services publics, dont la crise du covid-19 met en lumière le rôle essentiel ?
PM : Le Crédit agricole est engagé dans une démarche RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) qui a conduit notre groupe depuis quelques années à cesser des activités financières sans lien avec les besoins réels de l’économie. On ne reviendra pas en arrière. Les crises quelle qu’elles soient entrainent toujours des mouvements de spéculations, de comportements opportunistes, par le jeu de la déstabilisation des marchés. Et ce n’est pas le rôle des banques, en particulier de celles qui ont un ancrage fort dans l’économie régionale, de cautionner ou de faciliter ce genre de pratiques. Nous essayons d’accompagner les acteurs locaux dans l’adaptation aux tendances de fond ou méga-tendance dont la crise actuelle va vraisemblablement accélérer la mutation. C’est probablement au contraire une opportunité pour l’agriculture française et franc-comtoise de communiquer sur son rôle essentiel, au-delà de l’économie, de garant d’une alimentation humaine de qualité et de proximité. Espérons que cette crise soit aussi une occasion de conforter l’image du monde agricole dans ses missions primordiales au profit de l’alimentation de nos concitoyens qui reste une priorité absolue, notamment dans cette crise.

12 ans après la crise des sub-primes de 2007-2008, le système bancaire a-t-il les «reins assez solides» pour affronter une nouvelle crise, économique cette fois-ci, avec le ralentissement des échanges, des activités économiques ? On a vu au cours des dernières semaines par exemple la suspension de cotations, telle celle du Napoléon… le Liban mis en défaut de paiement. Est-ce que le déblocage massif de fonds pour soutenir l’économie n’est pas de nature à alimenter une nouvelle crise financière ?
Christine Grillet : On n’est pas du tout dans le même type de crise qu’en 2008, ni dans les causes, ni dans les effets, mais cette crise nous a beaucoup appris et nous en avons tiré les leçons. La BCE (banque centrale européenne) nous a imposé des ratios de liquidités, des critères de robustesse qui font qu’aujourd’hui nous sommes en capacité de participer au sauvetage de l’économie.
PM : C’est une crise sanitaire au départ, non issue du secteur financier comme en 2008 avec des conséquences économiques et financières majeures. L’action coordonnée des États et des banques doit permettre de traverser cette crise malgré son ampleur et permettre de préserver au mieux le potentiel économique des acteurs de nos territoires. Notre caisse régionale est complètement mobilisée pour cette ambition à travers ses administrateurs et ses salariés. L’agriculture et l’agro-alimentaire constituent depuis toujours une de nos priorités et comme pour les crises passées (type calamités agricoles, sécheresse), nous serons aux côtés de nos sociétaires agricoles historiques.

Propos recueillis par Alexandre Coronel

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