Bien-être animal / Nicolas Fournier, pédicure bovin, a mis au point la première logette réellement ergonomique : il s’est appuyé sur l’anatomie de la vache et des tests en conditions réelles dans le troupeau de son frère.
Le confort du couchage est un des points clés de l’élevage laitier : en effet la station couchée est nécessaire à la fois à la rumination, à l’irrigation sanguine de la mamelle, au repos des membres… et même à l’ingestion ! Un inconfort impactera négativement le rythme des visites à l’auge et le fonctionnement du rumen, ce qui se traduira par une moindre productivité laitière, une sub-acidosose, des boiteries, des chaleurs moins expressives… « Il y a pas mal d’investissements pour améliorer le confort des logettes à travers le matelassage, mais hélas la structure même de la logette est souvent négligée… on a beau avoir le meilleur matelas du monde, s’il est trop court ou si on se fait mal à chaque fois qu’on monte ou on descend du lit, on ne dormira pas bien ! » expose Nicolas Fournier. Artisan maréchal- ferrant et podologue bovin, diplômé d’un CAP et d’un BTM en maréchalerie, il est installé dans le nord-dijonnais depuis 2006. C’est son activité de pareur bovin qui l’a amené à réfléchir sur la question du confort des logettes. « Je constatais régulièrement que les problèmes de pieds et de boiteries avaient pour origine une mauvaise utilisation des logettes – avec des barres au garrot réglées pour éviter les bouses à l’arrière – et des vaches qui passaient trop de temps debout, y compris dans leurs logettes. Les blessures au niveau des jambes coïncidaient aussi avec les points d’usure des logettes. »
Mise au point en conditions réelles
Fort de ses compétences de maréchal-ferrant en soudure et de ses connaissances anatomiques, Nicolas Fournier s’est donc lancé dans la conception d’un nouveau type de logette, respectueux des animaux. « Quand on observe les mouvements de couchage et de relevage d’une vache au pré, on se rend compte que c’est l’épaule qui constitue l’axe de rotation. J’avais eu l’occasion de parer des vaches à l’attache dite “hollandaise”, qui ne présentaient justement pas de lésions articulaires, de problèmes de gros jarrets comme j’en voyais sur des vaches en logettes. C’est la liberté de mouvement des vaches permise par la longueur de l’attache qui explique ce paradoxe. Je me suis inspiré de ce principe pour concevoir ma logette. » Le système est doté d’une ouverture en V permettant de laisser passer la tête, et la partie basse est avancée pour
laisser les épaules s’avancer pendant la phase de lever. Il a aussi bénéficié de la bienveillance de son frère, éleveur laitier. « J’ai commencé à tester mon prototype en l’installant dans le box de vêlage, une partie du bâtiment en aire paillée, tandis que le reste est équipé de logettes creuses, très larges… comme les places de couchage n’étaient pas limitées, pour que des vaches viennent dans ma logette, il fallait qu’elle soit vraiment confortable ! » Pendant la mise au point, il ne fixe les tubulaires qu’avec un point de soudure. « De cette manière, j’ai pu développer une logette non traumatisante. » Dans une seconde phase, il installe une rangée complète de 10 logettes, pour vérifier leur bon fonctionnement. « C’est un troupeau avec un système d’alimentation très stable dans la durée, avec une ration basée sur l’ensilage maïs : des conditions idéales donc pour vérifier l’intérêt de mes logettes. » Après quelques nouvelles mises au point, Nicolas Fournier brevète sa logette en 2015, sous le nom de logette Oméga. « J’ai simplifié tout ce qui est fixations, pour faciliter la fabrication et le montage : il ne reste plus que 10 boulons, dont six pour la fixation au sol. C’est la seule logette ergonomique du marché, puisqu’elle permet le mouvement naturel de la vache. Le réglage à l’épaule permet la station debout, et autorise les animaux à tendre les pattes grâce au système d’arrêtoir amovible. Pour se coucher ou se relever, la vache peut utiliser à plein son cou dans le mouvement de bascule vers l’avant. Enfin, et ce sont des éleveurs utilisateurs qui me l’ont fait remarquer, cette logette crée un passage d’homme, ce qui facilite les déplacements dans la stabulation ! »
Fabriquée en France
Pour la fabrication en série, Nicolas Fournier a opté pour un constructeur français : les ateliers d’EAX (Equipements agricoles du Xaintois), une métallerie industrielle implantée dans les Vosges. Un choix délibéré de sa part « la plupart des logettes sont fabriquées à bas-coût dans les pays de l’Est, et les vendeurs margent principalement sur les autres produits vendus avec… je préfère me positionner sur un produit de qualité, qui se rentabilise à l’usage, en réduisant les coûts de fonctionnement (boiteries, problèmes sanitaires, baisse de productivité…). De plus, mes logettes sont faciles à installer et à régler, ce qui est déjà une source d’économie. » Déjà plusieurs fermes de la région se sont équipées d’une dizaine de logettes en test, ce qui a permis d’apporter quelques améliorations au produit. Le Gaec de la ferme du Val, au Val d’Esnom en Haute-Marne a choisi d’équiper son bâtiment neuf en totalité, avec 130 places sur caillebotis-logettes et robot de traite. Le troupeau composé de simmentales et de montbéliardes est très serein, et les deux-tiers des animaux sont couchés. On observe effectivement de nombreuses vaches avec un membre antérieur déployé vers l’avant. « Ces vaches sont issues de trois troupeaux différents, elles étaient soit en aires paillées, soit en étables entravées. Elles se sont rapidement habituées aux nouvelles conditions. C’est une belle vitrine pour mes logettes. », se réjouit Nicolas Fournier.
Alexandre Coronel