Elevage et société / L’émergence d’une minorité activiste dont le projet est d’abolir toute forme d’élevage bouscule les lignes et oblige les filières historiques à repenser la question du rapport à l’animal domestique : ce qui est acceptable, ce qui est souhaitable, ce qui est faisable…
Ces derniers mois, la stratégie du mouvement antispéciste – qui prône l’abolition de l’élevage – a pris un nouveau tournant : après la réalisation et la diffusion de vidéos dénonçant les conditions de vie et ou d’abattage des animaux, les militants les plus engagés commettent désormais des actes de vandalisme (saccages de boucherie, incendies…) Les organisateurs du Sommet de l’élevage, début octobre, ont dû composer avec cette nouvelle menace, en adoptant un dispositif de sécurité renforcé. Ce qui n’a pas empêché une quinzaine de militants de venir troubler la conférence des ministres turc et français de l’agriculture… Se protéger contre les actes malveillants n’exclut pas de prendre le temps de réfléchir… Comme l’a expliqué Jacques Chazalet éleveur d’agneaux et de poulets de chair dans le Puy de Dôme, président du Sommet, en introduction d’une conférence-débat sur ce sujet. « On a peut-être tardé à s’intéresser aux nouvelles attentes sociétales… à sortir d’un schéma ancien où les seules attentes de la société étaient d’avoir accès à une alimentation de qualité, diversifiée et bon marché ! a-t-il reconnu. Le Sommet est un lieu de débat et d’information : il faut en discuter pour améliorer performances et bien-être de l’éleveur, et tenir compte des attentes sociétales légitimes. Mais en tant que chefs d’entreprise, on souhaite aussi vendre nos produits : quel prix, quelle concrétisation de nos efforts dans l’acte d’achat ? Quand on voit par exemple que la production bio, avec toutes les contraintes du cahier des charges correspondantes, peut finir comme produit d’appel de la grande distribution, ça interroge ! » s’est-il exclamé.
Une forte pression médiatique
S’il exclut d’emblée tout dialogue avec les anti-spécistes « des ultraminoritaires qui prônent l’égalité homme – animal et mettent la pression médiatique », l’éleveur auvergnat appelle de ses vœux un débat scientifique serein et rationnel sur cette question. C’est d’ailleurs un scientifique retraité, Jean-Marie Chupin, ancien ingénieur à l’Institut de l’élevage, qui a recentré la question du bien-être animal hors du cadre de la sentimentalité. Aujourd’hui administrateur de l’association OABA (Œuvre d’assistance aux animaux d’abattoir), il nourrit sa réflexion de sa propre expérience « pour documenter le bien-être animal lors du transport, j’ai parcouru plus de 10 000 km en bétaillère… assure-t-il. Je suis entré à l’OABA après 15 ans de travail sur le thème du bien-être. Notre association n’intervient pas qu’en abattoirs – dans lesquels cinq visiteurs mandatés s’assurent que les bonnes pratiques sont respectées et qu’on évite toute souffrance inutile aux animaux, mais aussi pour secourir des troupeaux abandonnés par des éleveurs en détresse. Dépression, séparation du couple,
impayés… il y a des situations où suite à la plainte de la DSPP et en présence des forces de l’ordre nous intervenons pour remettre les animaux dans des conditions normales. Au cours des huit premiers mois de cette année, cela
représente 1 080 animaux dont 540 bovins, placés dans des fermes d’accueil. C’est toujours le même constat : en élevage, pendant le transport ou sur la chaîne d’abattage, si les gens vont bien, les animaux sont respectés. »
Maltraitance par ignorance
Didier Eyraud, vétérinaire rural au Chambon sur Lignon, préconise la
pédagogie et l’éducation, non seulement auprès des éleveurs, mais de tout détenteur d’animal et même tout consommateur de viande. « Certes, des éleveurs en souffrance avec des animaux qui en pâtissent, ça existe… des élevages industriels où la concentration des animaux est telle qu’on ne peut pas traiter correctement les problèmes, ça existe aussi. On a aussi des cas de maltraitance animale par méconnaissance des besoins fondamentaux des animaux : un cheval “à la retraite” qui finit ses jours tout seul dans une pâture sera très malheureux ! Un chien qui passe sa journée tout seul dans un appartement, c’est pareil… on a des gens persuadés de bien faire qui arrivent au résultat inverse. Il y a un gros travail de pédagogie à faire à tous les niveaux. Je peux aussi prendre l’exemple du veau gras qui est une véritable maltraitance éthique, un contresens vétérinaire : parce que le consommateur exige une viande blanche, on élève un animal en carence de fer permanente, gravement anémié. L’éleveur est pris entre deux feux ! S’il change sa pratique et permet au veau d’accéder à un régime plus complet, il perd son débouché car la viande est trop rosée est personne ne veut lui acheter. »
Gilbert Guignand, le président de la Chambre régionale d’agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes, a de son côté insisté sur la notion de rythme des nécessaires évolutions. « Tous les maillons de la chaîne ont intérêt d’avoir un animal en bonne santé… mais les changements ne peuvent pas se faire du jour au lendemain : dans le cas des poules pondeuses par exemple, le passage de la cage au plein air se chiffre en millions d’euros. Il faut du temps et des prix en face ! »
Alexandre Coronel