Grève SNCF / Alors que le gouvernement table sur un essoufflement du conflit dans son bras de fer avec les cheminots SNCF, les conséquences économiques du mouvement se font sentir dans les entreprises qui dépendent du fret ferroviaire. Fouzia Smouhi, directrice de Cérévia, fait le point de la situation dans le transport des céréales et sur l’exécution des contrats.
Entre les prévisions de France Agrimer qui place « l’activité export sur de bons rails » et la situation préoccupante du commerce des céréales sur le terrain, il y a la pleine mesure d’une grève perlée des cheminots, dont les effets économiques s’ajoutent à l’inconfort subi par les passagers des trains. Pourtant, ce jeudi, Fouzia Smouhi trouve un léger réconfort en constatant que deux trains sur quatre ont quand même pu partir vers leur destination. C’est une petite trouée d’azur dans un ciel chargé de menaces. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps et au 22 mars, la directrice de Cérévia a comptabilisé l’annulation de 30 trains, soit l’équivalent de 30 fois 1 300 tonnes de céréales qui n’arriveront pas à destination et ne permettront pas d’honorer les contrats en cours. Le préjudice est important car, comme l’explique Fouzia Smouhi, « quand on parle de deux jours de grève, sur le terrain cela se traduit de fait par quatre jours de non-exécution ». Et la note finit par être salée. « À ce jour le préjudice commercial est estimé à 700 000 euros, sans compter l’impact du report de l’augmentation des stocks en fin de campagne ». Une perte sèche qui va forcément avoir des répercussions sur le revenu des agriculteurs et les bilans.
« Chaque année nous affrétons 700 trains », précise la directrice de Cérévia, sachant que l’activité transport s’effectue pour un tiers par rail, un tiers par camions et un dernier tiers par voie fluviale. Dans ce contexte de grève « nous jouons à fond la carte du transport fluvial, à partir de Pagny pour aller vers Fos-sur-Mer, mais encore faut-il pouvoir en assurer l’approvisionnement du terminal par camions, sur un marché du fret très tendu », souvent dans l’incapacité de répondre à l’accroissement de la demande. « Heureusement, nous avons à notre disposition la flotte de Logivia, ce qui nous permet de satisfaire une partie de nos besoins ». Au-delà d’un coût de transport nettement plus onéreux (environ 30 % de plus), les camions ne pourraient pas compenser les insuffisances du rail. « Un seul train transporte l’équivalent de 44 camions. Entre avril, mai et juin, 184 trains risquent d’être annulés, on mesure mieux au travers de ces chiffres l’ampleur du préjudice économique et environnemental qui s’ensuit ».
La situation apparaît d’autant plus pénalisante que « cette année tout se passait bien, les contrats étaient exécutés au fur et à mesure ». Cette accalmie était la bienvenue pour des céréales françaises en peine de compétitivité, qui retrouvaient des parts de marché sur cette dernière campagne. La grève des cheminots, même perlée, bouleverse ces équilibres fragiles. « Sans solution de remplacement et dans l’impossibilité d’honorer certains contrats, les pénalités s’enchaînent, à raison de 18, voire 30 euros la tonne » détaille Fouzia Smouhi. Les blés de la Mer Noire, plus compétitifs et surtout bien présents sur les marchés comblent les trous et ramassent la mise. Ce n’est bon, ni commercialement, ni économiquement et l’image de la ferme France en prend un coup au passage.
Heureusement, se félicite la directrice de Cérévia, « notre Union de moyens Alliance BFC, trouve ici toute sa raison d’être. Sur le marché intérieur, nous pouvons quand même alimenter les Grands moulins de Strasbourg par l’intermédiaire de Terre Comtoise. L’union Alliance facilite les échanges de grains entre les coopératives. Notre force dans cette nouvelle configuration, c’est notre complémentarité entre territoires et la diversité de nos marchés. Dans les difficultés actuelles, on mesure toute la raison d’être de cette union ».
Le gouvernement semble tabler sur un essoufflement du conflit, mais les conséquences économiques du mouvement s’avèrent déjà très importantes pour toutes les entreprises tributaires du fret SNCF. La situation ne saurait perdurer sans causer des dégâts majeurs à l’économie. Chez Cérévia on fait les comptes et l’on s’inquiète d’un possible engorgement des silos s’il faut en passer par des reports de stocks, alors que la prochaine campagne se profile. Là comme ailleurs, il n’y a pas de solution miracle, mais d’ores et déjà « on explore toutes les pistes pour faire face » sur le stockage comme sur le reste.
Anne-Marie Klein