JA / Invité à l’AG des JA, Vincent Chatellier, économiste à l’Inra, est venu mettre les pendules à l’heure avec des chiffres sur l’agriculture française dans une économie mondialisée. Il a insisté notamment sur les aspects du « défi alimentaire mondial » et les enjeux pour le secteur agro-alimentaire français.
Les chiffres ne mentent pas. Vincent Chatellier, économiste à l’Inra, est d’autant plus crédible quand il parle d’agriculture qu’il étaye son discours de données chiffrées, de statistiques, de valeurs issues de ses recherches et de ses travaux. Et au milieu d’un parterre de JA qui « croient en l’avenir mais gueulent sur le présent », il n’hésite pas à rappeler quelques réalités, quitte à provoquer son auditoire. Oui, les agriculteurs français ont « une certaine appétence pour la ferraille ». Mais non, leur endettement n’est pas considérable : 40 % aujourd’hui, contre 35 % en 1990. Oui, la productivité dans l’exploitation agricole est importante, mais elle ne peut pas se passer de l’efficacité. Oui, l’agriculture a de l’avenir, mais non, ce n’est pas la peine de s’y lancer si on n’est pas « chef d’entreprise, courageux, malin, passionné »…
Du mondial, et du local
L’agriculture a avant tout vocation à nourrir. C’est pourquoi la carte des bouches en 2050 est des plus intéressantes. « Tous les jours sur la planète, la Haute-Saône débarque », illustre ainsi le chercheur. Aujourd’hui « 800 millions de personnes souffrent encore de la faim ». Dans 30 ans, le Nigeria comptera 440 millions d’habitants, « trois fois la Russie » ; en Afrique, l’âge médian est de 19 ans… Les bouches à nourrir sont là, « et pour longtemps », principalement dans des pays où l’on a déjà faim.
Il y a donc urgence à produire, et ceux qui pensent qu’il faut produire moins « ne sont pas sérieux » : on ne dispose plus que de 0,20 ha de terres arables par personne, contre 0,37 en 1961. Les solutions ? Elles sont mondiales, et locales. « Il ne faut pas opposer les systèmes. Je crois à l’internationalisation de l’agriculture, et je crois au local. » Internationalisation dans un monde où 70 % des consommateurs habitent à moins de 200 km de la mer. Quant au local, il permettra de valoriser avec efficacité une nourriture de qualité pour une population européenne vieillissante, dont le travail est de moins en moins physique mais le pouvoir d’achat reste élevé.
La France toujours championne agricole, mais…
Dans le marasme actuel, quelques données doivent être gardées en tête. D’abord la France reste le champion agricole d’Europe, avec ses 77 G€ (milliards d’euros) de valeur ; et par rapport à ses challengers dans l’Union Européenne, elle garde le plus fort potentiel de développement. En revanche, sa production totale est stable en volume depuis 2000 ; et certaines productions, comme la viande, sont en baisse, à tel point que notre pays n’est plus auto-suffisant en viande. Sur notre potentiel à l’export, nos voisins nous taillent de larges croupières. La France est désormais le troisième exportateur en Europe, malgré une progression de 19 G€ en 10 ans : les Allemands ont fait dans le même temps +30 G€, les Hollandais + 24 G€. Mais dans la balance commerciale largement déficitaire de notre pays (-60 G€), l’agriculture contribue positivement pour 10 G€. D’autre part, les partenaires commerciaux de notre pays sont principalement nos voisins directs : les Etats-Unis et la Chine ne sont « que » nos 7ème et 8ème clients ; le Brésil seulement notre 9ème fournisseur. Nos plus gros importateurs nets ? Dans l’ordre, les Pays-Bas (1,9 G€), l’Espagne (1,7 G€), le Brésil (1,2 G€), la Pologne (0,8 G€).
Faire avec Hogan… et communiquer intelligemment
Le défi de l’agriculture est donc bien celui de nourrir le monde. Et ce, avec les acteurs dont nous disposons : « Il faut faire avec Phil Hogan [le commissaire à l’agriculture de l’UE, ndlr]. On ne peut pas toujours avoir un Dacian Ciolos… » Les leviers à notre disposition pour relever le défi sont nombreux. Dans les pays en développement, il convient « d’encourager la production locale », mais aussi « les régimes alimentaires à base de protéines végétales » : Si 1,6 milliards d’Indiens se mettaient à consommer 60 kg de viande par personne contre 5 kg actuellement, il faudrait près de 100 millions de tonnes de viandes supplémentaires. Partout, il faut « limiter le gaspillage et les pertes de foncier agricole », « améliorer les techniques agricoles et utiliser les technologies ». Quant à la France, elle doit « réduire les coûts de production pour rester attractif face à la concurrence ». Les baisses de cotisation « sont utiles dans une mauvaise passe, mais elles ne créent pas de valeur », confirme Vincent Chatellier en écho aux propos de Thomas Diemer. Il faut que les agriculteurs « s’attachent à rendre l’imitation difficile », et sans doute plus important, apprivoisent le consommateur. « Soyez patients, souriants, explicatifs. N’essayez pas d’avoir raison par la colère face à des gens qui ont quitté le sol. »
LD