Conjoncture laitière / Dans un contexte de récession économique générale, l’agriculture et les industries agroalimentaires s’en tirent honorablement. Mais à la production les prix restent insuffisants pour assurer la pérennité de la filière laitière.
Benoît Rouyer, économiste au CNIEL, était invité à l’occasion de l’assemblée générale de l’organisation de producteurs Milleret à présenter son analyse de la conjoncture et des perspectives des marchés laitiers. Il a commencé à prendre un peu de hauteur pour décrire la situation mondiale : « la production laitière reste dynamique dans les principaux bassins exportateurs mondiaux (+2,2 % aux États-Unis, +0,8 % dans l’UE à 27 et +2 % en Nouvelle-Zélande sur 2020 par rapport à 2019), alors qu’en France c’est plutôt un repli : -2,5 % en moyenne depuis le début de l’année. C’est en partie lié à une moins bonne qualité des fourrages récoltés et à une diminution de la complémentation en lien avec le prix élevé des aliments. Ces dernières semaines on observe que la production retrouve un peu d’allant. » En face, les cours des produits industriels repartent à la hausse, aussi bien le beurre que la poudre de lait écrémé. « Les prix sortie usine (qu’on appelle prix de vente industriels) ont peu évolué sur un an, après une phase de stabilité, on note une légère hausse, et c’est à peu près similaire pour les prix de vente. Le prix du lait est en léger retrait par rapport à 2020. » Interrogé sur l’avenir proche, le spécialiste explique : « j’ai une lecture plutôt positive sur les prix du lait au deuxième semestre, mais ça ne sera pas forcément synonyme de revenu pour les éleveurs car en face les charges augmentent fortement (+12 %) sur les aliments achetés, et l’énergie et les lubrifiants suivent la même tendance, sans parler de l’augmentation des prix des produits industriels type plastiques d’emballage… qui vont aussi peser sur les cours. »
Une dynamique rapidement estompée
Questionné sur les effets des états généraux de l’alimentation et de la loi Egalim censée rééquilibrer les rapports commerciaux entre partenaires, en faveur de la production, Benoît Rouyer n’est pas très lyrique. « Les produits agricoles courants (lait œuf fromage et beurre) ont partiellement rattrapé leur retard en partie vis-à-vis de l’inflation depuis l’Egalim, mais… la dynamique s’est rapidement estompée », reconnaît-il. « Sur les marques nationales l’observatoire de la négociation commerciale est alimenté par les données de la filière. Quand on regarde objectivement les prix “triple net” (intégrant ristournes et rabais), le constat c’est que la loi Egalim n’a pas réussi à enrayer la spirale déflationniste – même si c’est un peu mieux qu’en MDD. » Lot de consolation, le prix du lait conventionnel français est un peu meilleur qu’en Allemagne (11 € des 1000 litres). Et nos voisins outre-Rhin s’intéressent eux aussi à la possibilité d’intervenir sur les prix. « 2020 a été marquée par la plus grande récession économique depuis la seconde guerre mondiale. Dans ce contexte, avec un PIB en retrait de 8 %, l’agriculture et les IAA s’en tirent plutôt pas mal (-4 -3 %) » Derrière ce chiffre moyen se cachent d’importantes disparités selon les produits. « D’importants transferts se sont produits entre débouchés, suite à la fermeture de la restauration hors foyer. Ainsi le lait UHT affiche en 2020 +2 % après plusieurs années de baisse, et a contrario la mozzarella a souffert de la baisse de la consommation des pizzas. » Les ménages ont consacré une part plus importante de leur budget à l’alimentation « mais l’essentiel du surcoût alimentaire supporté par les ménages est lié aux volumes, plus qu’à l’inflation ou la montée en gamme », poursuit le spécialiste, qui pronostique que les produits de grande consommation vont continuer à se développer par conservation des nouvelles habitudes acquises pendant le confinement. « Le covid a amplifié des tendances lourdes : développement de l’insécurité alimentaire dans le monde, concurrence des alternatives végétales, émergence des protéines alimentaires de synthèse, plus forte exposition des opérateurs économiques à la volatilité des prix… » Mais en parallèle des tendances propices à une augmentation des prix payés à la production se renforcent « la juste rémunération des acteurs, l’enjeu du renouvellement des générations et les attentes sociétales » vont dans ce sens.
Des attentes protéiformes
« Même lorsque la conjoncture est bonne, comme en 2011, à peine la moitié des exploitants arrive à atteindre un salaire médian (1 800 €/UTH) ce qui pose un défi vis-à-vis de l’installation, dont le rythme stable mais nettement insuffisant au regard de la pyramide des âges. Les attentes des consommateurs sur le thème de la “responsabilité” (consommation responsable) sont assez diverses puisqu’il peut s’agir de bien-être animal, d’environnement, de juste rémunération, de diminution du gaspillage… Malgré ces vœux, les consommateurs sont aussi confrontés à la crise qui impacte à la fois leur moral et leur pouvoir d’achat. » conclut Benoît Rouyer.
Alexandre Coronel