Crise du lait / Après une longue confrontation, l’industriel Lactalis, leader du marché et moins-disant des prix a fini par accepter une hausse des prix du lait qui l’amèneront à peu près au niveau de ses principaux concurrents en fin d’année. La pression syndicale a fini par faire céder le géant laitier.
La situation a connu des rebondissements importants. La contestation, d’abord sourde puis massive, a conduit des centaines de manifestants à venir bloquer le siège de l’industriel Lactalis à Laval. A l’appel des syndicats majoritaires (FNSEA, FNPL et JA), plus d’un millier d’éleveurs se sont relayés pour bloquer les portes du site en réclamant une hausse du prix du lait. « Lactalis ne fait pas le prix mondial », se défend le directeur de la communication Michel Nalet. « Certes, lui répondent les syndicalistes de Mayenne, mais Lactalis fait bien le prix français. » Force est en effet de constater que si les autres géants du lait français (Sodiaal, Bel, Savencia et Danone) ne payent pas non plus le lait à un niveau décent (le coût de production est estimé à 340€/1 000), ils s’arrangent pour ne jamais s’éloigner beaucoup du leader Lactalis, qui reste le moins disant toutes catégories confondues.
Cartel des prix
Les soupçons d’entente sur les prix pèsent d’ailleurs sur les géants du lait : les journalistes Elsa Casalegno et Karl Laske, dans « Les Cartels du lait », rappellent comment les industriels se sont entendus sur le prix des yaourts, au détriment de leurs clients GMS en France, et comment, en Espagne, ils se sont entendus sur le prix du lait payé au producteur. De là à imaginer des pratiques similaires en France… Les manifestants entendaient en tout cas forcer Lactalis à remonter ses prix, après le minimum atteint en juillet avec 256€.
Emmanuel Besnier, à la tête de Lactalis, n’a pas daigné participer aux discussions ni même répondre à la demande de rencontre des syndicats. Le discret milliardaire est tellement injoignable que même le ministre Le Foll a reconnu ne pas « connaître son numéro ». Certaines mauvaises langues n’ont pas manqué de rappeler que dans une entreprise, lorsqu’une personne perçoit un salaire mais que personne n’est capable d’affirmer qu’elle fournit un travail ou fait au moins acte de présence, cela s’appelle un emploi fictif…
Échec de la première négociation
Jeudi 25 août dans l’après-midi, une négociation entre Lactalis et les OP s’est finalement tenue à Paris sous l’égide du médiateur des contrats agricoles Francis Amand. Du côté de Lactalis : Michel Nalet, directeur de la communication. Du côté des producteurs, toutes les OP Lactalis pour une fois unanimes : l’Unell (à laquelle sont adhérents les producteurs de Haute-Saône de l’OP Grand-Est), l’OPLGO (OP Grand-Ouest, réputée plus conciliante avec Lactalis), et l’OPNC (qui a quitté l’Unell suite à l’action en justice engagée l’an passé contre Lactalis).
Également dans la salle : Florent Renaudier, président de la section lait de la FDSEA 53.
Dans un premier temps, Lactalis qui dénonçait « l’irresponsabilité FNSEA FNPL et JA » a semblé plier vers la proposition du médiateur pour un prix politique à 280€ sur les 5 derniers mois (soit un prix annuel proche de 270€ pour les producteurs). Les OP de leur côté, sont restées inflexibles sur un objectif annuel à 285. Les discussions ont donc été stoppées tard dans la nuit.
Le médiateur désavoué
A la suite de cet échec, Lactalis a proposé dans la matinée de vendredi une hausse de 15€ à partir de septembre, en rejetant encore la faute de la rupture des négociations sur le syndicalisme
« irresponsable ». Cela aurait mené à un prix d’environ 270€ sur 5 mois, soit une moyenne annuelle de 265 €. Coïncidence : c’est justement le prix annuel objectif que Lactalis proposait à ses OP en juillet, et que les OP ont bien entendu rejeté. De son côté, le médiateur a fait ce terrible constat qui serait plutôt un aveu d’incompétence : « Je suis très déçu sur la méthode, j’ai eu l’impression que les représentants des organisations de producteurs n’étaient pas en capacité de prendre des positions et qu’elles leur étaient dictées depuis Laval, a-t-il déclaré à l’issue de la médiation. On repart à zéro, il n’y a plus de médiation possible dans ce cadre-là. » Désaveu cinglant 3 jours plus tard : Le préfet de Mayenne obtient finalement un accord sur les prix, certes pas au niveau attendu par les éleveurs, mais toujours au-dessus de la médiation prétendument « de la dernière chance » de Francis Amand.
Quel niveau de prix pour 2016 ?
Un accord a donc finalement été trouvé : le prix fixé est de 290 euros en moyenne sur les cinq derniers mois de l’année (contre 257 € initialement proposés par Lactalis au mois d’août), soit une augmentation du prix de 5€/1000 L tous les mois (de 280 € en août à 300 € en décembre), pour une moyenne approximative de 275 € sur l’année. Le secrétaire général de la FNSEA, Dominique Barrau, a salué cet accord comme « une étape de franchie », et s’est dit satisfait de voir Lactalis revenir sur des niveaux de prix similaires à ses concurrents. Reste à savoir ce qui se cache sous cet accord, des doutes restant sur son application : s’il s’agit d’un lait « refroidi », la prime de 3€ pour le froid ne sera pas versée, craint-on dans les OP.
Et après décembre ? La pression médiatique seule a fait céder Lactalis. En janvier, avec la présidentielle comme seule idée fixe des médias, portera-t-on autant d’attention à l’avenir de la filière laitière française ? « Il faut arriver à inclure dans le prix du lait les coûts de production », a martelé sur France 3 Emmanuel Aebischer, président de la FDPL de Haute-Saône.
LD